Tenter d’appréhender l’œuvre de Krenek renvoie à deux types de difficultés : un catalogue d’un compositeur prolixe de près de deux cent cinquante partitions – sans compter plus d’une centaine d’œuvres achevées ou non et sans numéro d’opus – et une production étalée sur plus de soixante-dix ans rendent compte de l’ampleur de l’œuvre et de sa grande diversité stylistique. De fait, Krenek a traversé la plupart des mouvements esthétiques qui ont marqué le XXe siècle, des retombées de l’expressionnisme au néoromantisme, du néoclassicisme à l’adoption de la série schoenbergienne, jusqu’au sérialisme des années cinquante ou aux œuvres mixtes pour instrument et bande. Si cette exceptionnelle perméabilité lui a permis de s’exprimer dans une grande variété stylistique, notamment grâce à une réelle maîtrise du contrepoint et de l’orchestration, elle a pour corollaire une diversité stylistique, sinon une forme de versatilité qui nuit incontestablement à une réelle unité de l’œuvre.
Krenek a abordé tous les genres consacrés, auxquels il est resté fidèle toute sa vie, avec sept sonates pour piano, huit quatuors à cordes, cinq symphonies, de nombreux concertos, une production importante de Lieder et d’œuvres chorales, et une vingtaine d’opéras dont il signe lui-même le livret pour la plupart. Plus que tout autre, le corpus des huit quatuors à cordes, étalé entre 1921 et 1980, suffirait à illustrer les différentes phases de l’écriture de Krenek, depuis l’atonalité libre (n° 2 et 3), le néoclassicisme (n° 4) et le néoromantisme (n° 5) jusqu’aux diverses applications de l’écriture dodécaphonique ou sérielle (n° 6 - 8). Krenek reste néanmoins, et malgré lui, comme étant l’auteur de Jonny spielt auf, son plus célèbre opéra salué dans les années vingt par un succès considérable qui l’a propulsé sur la scène internationale. Plus important historiquement que musicalement, cet ouvrage a contribué à figer l’image du compositeur, régulièrement cité sans que l’on connaisse réellement ni sa musique, ni son parcours. Pourtant, les quelque cinquante années de pratique dodécaphonique et sérielle ont donné lieu à des œuvres d’un intérêt certain, parallèlement à une somme d’écrits sur la composition dignes de ceux de Hindemith ou de Schoenberg.
Les années vingt ou l’éclectisme
Au cours de ses années d’études avec Schreker, commencées à Vienne et poursuivies à Berlin, Krenek se détache progressivement du néoromantisme de son maître, notamment après avoir découvert les Grundlage des linearen Kontrapunkts (Fondements du contrepoint linéaire, 1917) d’Ernst Kurth qui ont bouleversé son orientation et son approche de la composition en lui faisant prendre conscience que la musique correspondrait moins au sentiment et à l’instinct qu’à « l’autonomie d’un système de flux d’énergie imposant ses propres règles ». On peut voir dans cette orientation autant le goût toujours prononcé de Krenek pour un discours polyphonique dense et prolixe que sa prédilection pour une certaine dimension abstraite de la musique, deux caractéristiques qui qualifieront la majeure partie de son œuvre. De son propre aveu, cette position lui permettra de prendre ses distances avec le postromantisme de Schreker, le rapprochera des « principes radicaux » de Busoni, Erdmann, Schnabel et Scherchen avec lesquels il se liera rapidement à Berlin, et le convaincra de s’orienter vers l’atonalité. Ses premières œuvres traduisent la combinaison pour de grandes formes longuement développées avec une écriture chargée (Quatuors à cordes n° 1 et 2, Symphonie n° 1). La Deuxième symphonie (1922), de proportions imposantes, est l’une de ses œuvres les plus touffues de cette époque, parallèlement à ses premiers essais scéniques avec l’opérette Der Sprung über den Schatten dans laquelle il introduit le fox-trot et un jazz turbulent qui le conduira à l’éclectisme stylistique de Jonny spielt auf.
Autant marquée par le Pulcinella de Stravinsky que par la musique insouciante des Six français ou encore le jazz édulcoré de Paul Whiteman, l’écriture, certes brillante et habile, de Krenek se révèle rapidement plus futile que subtile, oscillant entre une vocalité puccinienne et un jazz à la mode. Jonny spielt auf, créé avec un énorme succès en 1927, et repris sur une cinquantaine de scènes en Europe, apparaît comme l’un des modèles du Zeitoper (opéra d’actualité), mêlant les éléments modernes (radio, téléphone, locomotive, etc.) au contrepoint à partir de danses à la mode (shimmy, charleston), et reléguant au second plan les questions existentielles du personnage de Max, le compositeur “savant”, au profit du rôle de Jonny, le violoniste noir d’un jazz-band. Jonny, dont les photomontages annoncent les productions cinématographiques de l’époque (Berlin, Symphonie d’une grande ville de Ruttmann, 1927), reste une œuvre trépidante et caractéristique des utopies de la République de Weimar. Quant au recours à un jazz à la mode, consistant selon Krenek « à trouver un mode de communication largement intelligible », il a autant contribué à la popularité de l’ouvrage qu’à son inscription dans une époque et dans un quotidien aujourd’hui très datés. C’est aussi, entre autres, pour ces mêmes raisons que Krenek figurera dix ans plus tard sur la sinistre liste des « compositeurs dégénérés » dressée par les Nazis à la fin des années trente.
Krenek poursuit dans le domaine de l’opéra avec une trilogie d’ouvrages en un acte, à la fois dans le sillage de ceux de Puccini et d’Hindemith, et anticipant sur les opéras miniatures de Milhaud et d’Hindemith avec Der Diktator et Das geheime Königreich (« Le Royaume secret », 1926) et Schwergewicht oder Die Ehre der Nation (« Poids lourd ou L’honneur de la nation », 1927) mêlant les thèmes mêlés du pouvoir politique et de l’érotisme (Le Dictateur prend explicitement modèle sur le personnage de Mussolini). Il s’agit d’une évolution d’autant plus remarquable que Krenek était jusque là un légitimiste favorable aux Habsbourg. Respectivement intitulés « opéra tragique », « opérette burlesque » et « opéra féérie », ils illustrent la même capacité de Krenek à s’exprimer dans des contextes différents, sinon opposés, maniant avec virtuosité le kaléidoscope stylistique et prônant un style vocal qui se veut plus mélodique et donc plus accessible pour le public. Après Leben des Orest, « grand opéra » en cinq actes (1928), Krenek est à la recherche d’une plus grande unité dramatique imposée par le sujet même, emprunté à la mythologie grecque.
La parenthèse néoromantique, principalement illustrée par le cycle des vingt Lieder du Reisebuch aus den österreichischen Alpenop. 62 calqué sur le Winterreise schubertien, constitue sa phase la moins originale, comme si le retour à une simplicité d’écriture et à une tonalité limpide, non sans ironie, constituait un antidote aux œuvres précédentes avant de s’engager dans l’écriture dodécaphonique.
Les relations suivies qu’entretient Krenek avec Berg et Webern – dont il publiera un recueil d’esquisses en 1978 –, la lecture assidue des écrits de Karl Kraus et le rôle d’Adorno ont été déterminants pour l’inscription de l’œuvre musicale dans les nécessités sociales et esthétiques de son époque. La correspondance entre Krenek et Adorno montre en effet à quel point le premier oriente délibérément sa pensée dans la mouvance schoenbergienne, alors que le second se montre souvent plus critique au sujet de Krenek lorsqu’il échange avec Walter Benjamin.
L’adoption de la série dodécaphonique
Les premières œuvres représentatives du dodécaphonisme de Krenek, l’opéra Karl V op. 73 (1933) et le Sixième Quatuor (1934) proche de Webern et de Berg dans le développement continu des cinq mouvements enchaînés (commenté par Leibowitz dans son Introduction à la musique de douze sons), marquent un tournant aussi important stylistiquement qu’essentiel dans l’œuvre de Krenek. L’opéra, probablement son œuvre scénique la plus importante, s’inscrit volontairement dans le contexte de la montée du national-socialisme et s’appuie notamment sur les écrits de Benjamin sur le Trauerspiel qu’il cite dans son article « Conception artistique et scientifique de l’histoire » (1935). Contemporain de la composition du Moïse et Aaron de Schoenberg, Karl V est le premier opéra de Krenek intégralement composé dodécaphoniquement, confrontant l’empereur Charles Quint (rôle chanté) à son confesseur (rôle parlé). L’originalité de la dramaturgie tient dans la division de la scène en deux plans distincts, présentant simultanément l’action et son commentaire, à partir d’événements fragmentaires de la vie de l’empereur jusqu’à son abdication, dans un déroulement privilégiant les flashbacks, influencés par le montage cinématographique, avec d’illustres personnages (Martin Luther, François 1er, Francisco Borgia, le sultan Soliman, le pape Clément VII), le rôle du moine intervenant comme intermédiaire entre les événements représentés et le public. Dans le projet de Krenek, l’Empereur devait provoquer la prise de conscience et le sursaut du catholicisme autrichien comme la seule alternative politique au national-socialisme. Le sujet historique avait été choisi par Krenek en 1930 pour répondre à une commande de l’Opéra de Vienne après avoir été impressionné par le Christophe Colomb de Milhaud-Claudel (1928) dont le rôle titre annonçait la même mission de pacification chrétienne que celle qu’incarnera Charle Quint.
La partition achevée en 1933 a été interdite de représentation à Vienne et n’a été créée qu’en juin 1938 à Prague (elle ne sera donnée à l’Opéra de Vienne qu’en 1984). Au moment de la création, Krenek avait déjà quitté l’Europe pour les États-Unis, immédiatement après la proclamation de l’Anschluss.
Les écrits théoriques de Krenek
Krenek a abondamment publié parallèlement à la composition, tantôt en annonçant certains procédés d’écriture, tantôt explicitant ceux-ci dans des œuvres antérieures. La première caractéristique concerne son goût pour les relations entre musique et mathématiques qu’il développe dès Über neue Musik (1937, traduit et révisé en 1939 : Music Here and Now) où il réfléchit à une théorie musicale axiomatique. Ensuite, il traite de la technique dodécaphonique en examinant les propriétés remarquables de la série, notamment celles fondées sur le miroir ou la symétrie, dans le prolongement des préoccupations de Berg. Mais il argumente surtout sur la conception motivique de la série dans le chapitre « série et échelle », où il tente un parallèle avec le chant grégorien dans lequel il identifie une conception motivique et la présence de formes en miroir. De là , un leitmotif de la pensée de Krenek établissant une constante relation à l’histoire, fût-elle lointaine, et se référant à des modèles historiques pour justifier les approches modernes de la composition. C’est là le sens de la remarque d’Adorno à Benjamin quand il relève « d’excellentes choses dans sa partie technique » mais qui « au chapitre des idées esthétiques me plaît moins que tout lorsqu’il s’approprie à sa façon certaines de nos choses à nous » (25 avril 1937). À noter qu’a été évoqué entre eux à cette époque le projet d’écrire en commun un traité de musique dodécaphonique.
Le traité de contrepoint dodécaphonique que Krenek publie en 1940 (Studies in Counterpoint, based on the Twelve-Tone Technique) pose comme préalable la réflexion de Schoenberg sur l’Idée induisant l’unité de l’œuvre : la série est d’essence motivique et assure l’homogénéité de la composition. Dans le sillage de sa lecture de l’ouvrage de Kurth, Krenek réaffirme la primauté de la linéarité sur l’harmonie, tout en précisant que « la maîtrise du contrepoint strict (Palestrina) est recommandée, sinon indispensable ». De façon caractéristique, Krenek donne en appendice un aperçu de séries symétriques, organisées en deux hexacordes dont le second est le renversement du premier, ainsi que de séries « tous-intervalles », renvoyant respectivement sans les citer à Webern et à Berg. Si la proximité amicale de Krenek avec les deux compositeurs depuis le début des années trente et l’étude approfondie de leurs œuvres a incontestablement nourri cet écrit important, la référence à la musique d’un Palestrina provient de son nouvel intérêt pour le contrepoint ancien qui ne fera que s’accentuer par la suite.
La lecture d’un article important de Richard S. Hill, « Schoenberg’s Tone-Rows and the Tonal System of the Future » (Musical Quarterly, 1936) avait permis à Krenek de réfléchir aux liens entre l’ancienne polyphonie et la série dodécaphonique. Hill, partant de la difficulté à comprendre la musique dodécaphonique de Schoenberg au travers de l’articulation entre les séries retenues, préconise notamment une approche modale en maintenant la présence audible de fondamentales telle qu’il la constate chez Bartók et Stravinsky, au contraire de la musique de Schoenberg. S’inspirant des travaux de Golyscheff, Eimert ou encore des « tropes » de Hauer, Hill pointe le manque d’organisation fonctionnelle de la série qui doit pouvoir accéder au statut de « mode fonctionnel » : « le mode doit être utilisé pour établir les lignes contrapuntiques (comme à l’époque médiévale), ou une succession d’“harmonies”, ou des segments de la série, les notes de ces segments étant constamment associées les unes aux autres. » (Schoenberg réagira lui-même à cet article dans « La série schoenbergienne », 1936, Le Style et l’Idée).
Il est évident que la notion de polarisation à partir d’une conception modale de la série déclenche chez Krenek une réflexion sur la cohérence du matériau dodécaphonique. C’est en 1943 qu’il expose sa théorie de la « rotation » (de « New Developments in the Twelve-tone Technique » à « Extents and Limits of Serial Techniques », 1960), consistant en une forme de permutation circulaire à partir de la série originelle : « par rotation, nous entendons une procédure dans laquelle les éléments donnés d’une série changent systématiquement et progressivement leurs positions suivant un plan conçu sériellement. » Prenant pour exemple la série utilisée dans ses Lamentatio Jeremiæ Prophetæ (pour chœur mixte a cappella, 1941), il adopte une disposition en deux hexacordes dont un premier type d’engendrement donne lieu à six modes qu’il qualifie de « diatoniques » (tous les modes résulteront des mêmes six sons présentés différemment), chaque premier son devenant le dernier de l’hexacorde suivant :
fa |
sol |
la |
sib |
réb |
mib |
1 |
2 |
3 |
4 |
5 |
6 |
sol |
la |
sib |
réb |
mib |
fa |
2 |
3 |
4 |
5 |
6 |
1 |
la |
sib |
réb |
mib |
fa |
sol |
3 |
4 |
5 |
6 |
1 |
2 |
etc. |
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|
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|
etc. |
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Le troisième point concerne la dimension « modale » à partir des motifs récurrents, tout en privilégiant la tendance très conjointe des sons à l’intérieur de chaque hexacorde. Déjà dans le chapitre « Série et échelle » de Music Here and Now, Krenek distinguait la série comme « une succession de motifs donnant un caractère à la texture entière », et identifiait le même phénomène dans le chant grégorien en démontrant l’existence de motifs de trois ou quatre sons et l’usage de formes en miroir. D’où son intérêt pour la permanence historique de formes musicales qu’il souhaitait retrouver dans la musique du XXe siècle.
La mise en regard du chant grégorien avec le travail dodécaphonique sera poursuivie dans divers écrits qui accompagneront notamment la composition du cycle Lamentatio Jeremiæ Prophetæ. L’écriture canonique et l’usage du cantus firmus seront les points mis en évidence par Krenek, établissant le lien avec sa propre pratique sérielle dans l’étude des œuvres d’Ockeghem auquel il a consacré des conférences et une étude remarquée (1953), précédée d’un avertissement sur l’« intellectualisme » dont on accuse trop souvent le compositeur contemporain : « Quand il remarque que l’un des maîtres vénérés du passé est exposé aux mêmes attaques, il se sent une certaine solidarité avec son défunt collègue et essaie de trouver comment l’ami lointain a subi les effets néfastes de cette étiquette. »
Il continuera à militer en faveur de l’écriture dodécaphonique, prenant notamment appui sur l’analyse des motifs dans la Deuxième Sonate de Boulez (« Is the Twelve-Tone Technique on the Decline ? », 1953), dont il rapproche la technique de permutation de son propre principe de rotation. Dans « Extents and Limits of Serial techniques » (1960), il commente l’analyse de Ligeti de Structure Ia et compare à nouveau les procédés de groupes de six sons utilisés par Stockhausen dans ses premiers Klavierstücke aux siens dans les rotations des Lamentations de Jérémie. Krenek ne cessera ainsi jamais de réclamer son appartenance, voire son rôle de pionnier, dans l’évolution de l’écriture sérielle, même si les jeunes compositeurs ne le reconnaîtront pas en tant que tel.
À un autre degré, les travaux de Krenek ont attiré l’attention de Stravinsky qu’il côtoyait régulièrement à Los Angeles après que le second avait adopté à son tour la série. On ne peut passer sous silence la relation entre les Lamentations de Jérémie de Krenek – la partition, que Stravinsky a étudiée minutieusement, n’est publiée qu’en 1957 –, et Threni composé l’année suivante, toujours sur les mêmes textes de Jérémie.
Prolongements et nouveaux horizons
À la fin des années cinquante, Krenek poursuit sa réflexion sur la combinatoire sérielle et perfectionne le principe de rotation dans Spiritus Intelligentiae, Sanctusop. 152 (Oratorio de Pentecôte pour voix et sons électroniques, 1955-1956) à partir d’un matériau de treize sons dont il détaille la mise en œuvre dans « Extents and Limits of Serial techniques » dans le paragraphe intitulé « Prémédité, mais imprévisible ». De même, le mécanisme temporel dans Sestina op. 161 (soprano et orchestre, 1957) exploite la relation entre une forme poétique issue du XIIe siècle et sa mise en musique qui peut être qualifiée de « forme sérielle de poésie » grâce au principe de rotation : six strophes de six vers chacune dont l’ordre des derniers mots de chaque vers – évoquant les notions de courant, de mesure, d’accident, de forme, de temps et de nombre – est calqué sur les six rotations à partir de l’hexacorde de base (des extrêmes au centre) avant de retrouver la formule initiale (1 2 3 4 5 6 / 6 1 5 2 4 3 / 3 6 4 1 2 5 / 5 3 2 6 1 4 / 2 4 6 5 3 1 / 1 2 3 4 5 6) soit à la fin de chaque vers : …Strom …Mass …Zufall …Gestalt …Zeit …Zahl / Zahl …Strom …Zeit …Mass … Gestalt …Zufall / etc. Dans une conception de généralisation sérielle, ces rotations affecteront également les proportions rythmiques et la densité qu’il poursuivra dans les Motets d’après Kafka (1959). Krenek prolongera le même mécanisme temporel dans les Sechs Vermessenepour piano (1958) : « Ce titre allemand est un jeu de mots, puisque vermessen en allemand signifie “tout à fait mesuré” ainsi que “présumer” » (Krenek). On mentionnera encore le recours à la série de Fibonacci « pour déterminer les zones de vitesse » dans Quaestio temporis (orchestre, 1959).
L’expérience électronique entreprise à Cologne en 1955 avec Herbert Eimert amène Krenek à composer quelques œuvres pour bande magnétique et surtout nombre d’œuvres mixtes, dont Instant remembered op. 201, pour soprano, récitant, orchestre et bande (sur un montage de textes de Krenek, Sénèque, Hopkins et Kraus, 1967-1968), Tape and doubleop. 207, pour deux pianos et bande (1970),Orga-Nastro op. 212 ou pour orgue et bande (1971).
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Krenek aura souvent été un pionnier à sa manière, dans le Zeitoper ou dans Karl V comme premier opéra dodécaphonique, et plus encore dans ses écrits théoriques sur la série conçue comme deux hexacordes porteurs d’une dimension modale, avec les dérivations par rotation qui enrichissent harmoniquement le matériau, ce bien avant les années cinquante. Comme les idées théoriques d’un Hindemith (Unterweisung im Tonsatz, 1937) établissant la polarisation d’une fondamentale dans n’importe quelle agrégat, celles de Krenek ont nourri la pensée de leurs successeurs après 1945 au moment de la recherche d’une dimension harmonique à partir de la série.
Entre modalité et sérialisme, la position du compositeur n’a toutefois jamais été ni confortable, ni totalement reconnue. Comme il le formule lui-même, « je suis le seul compositeur de ma génération qui ait pratiqué complètement et continûment ce qu’on appelle le “sérialisme”, et on m’a blâmé pour l’avoir fait, pour l’avoir fait trop tard et pour le faire encore » (Circling My Horizon). La pluralité stylistique qui marque son œuvre a incontestablement joué défavorablement dans le cas de Krenek qui reste encore dans les mémoires principalement comme le musicien turbulent de la République de Weimar.