Vienne est restée le point d’ancrage principal de Webern qui y passera la majeure partie de sa vie. Né dans ce foyer culturel exceptionnel, témoin de la déliquescence de l’Empire des Habsbourg, où vivaient Gustav Mahler et Arnold Schoenberg, Gustav Klimt, Oscar Kokoschka, Egon Schiele, Adolf Loos, Karl Kraus, Arthur Schnitzler, Stefan Zweig, Hermann Broch ou encore Sigmund Freud pour ne citer que quelques personnalités parmi les plus représentatives de ce bouillonnement intellectuel, Webern participe à cette quête de renouvellement artistique au sein de « l’école de Vienne » sous l’égide de Schoenberg dont il a été, avec Alban Berg, l’un des plus remarquables élèves. Au-delà de cette relation pédagogique, Webern a voué à son maître une véritable vénération, le suivant, au sens propre comme au figuré, dans ses aventures musicales. Le contexte politique des années trente, avec le départ forcé de Schoenberg en 1933, démis de ses fonctions parce que juif, et de nombre d’autres, séparera les deux hommes alors que Webern ne songe pas à abandonner sa Vienne natale, ni la « grande Allemagne » en laquelle il croit farouchement, comme en témoignera son engagement en faveur du national-socialisme de Hitler. Il n’en continue pas moins, dans un isolement quasi complet, à élaborer une œuvre qui, du fait de son incompatibilité avec les canons esthétiques du IIIe Reich, reste essentiellement confidentielle durant ces années jusqu’à sa mort en 1945. L’après-guerre verra une reconnaissance inversement proportionnelle de sa musique par la jeune génération de compositeurs qui, avec Boulez et Stockhausen, le désignera comme la seule source digne d’être exploitée et poursuivie.

Fils d’un fonctionnaire du ministère de l’Agriculture, le jeune Webern suit son père dans les postes qu’il occupe successivement à Graz (1890-1894) et à Klagenfurt (1894-1902) avant de revenir à Vienne. Parallèlement à ses études musicales en piano et en violoncelle apparaissent ses toutes premières œuvres dès 1899, dans le domaine de la musique de chambre, et bientôt des lieder qui seront une constante de son œuvre de maturité. Ses premiers poètes, Ferdinand Avenarius, et surtout Richard Dehmel et Stefan George, révèlent son goût pour les esthétiques impressionnistes et symbolistes qui le marqueront jusque dans ses premiers opus. Un voyage à Bayreuth en 1902, où il assiste notamment à une représentation de Parsifal, lui laisse une profonde impression, Wagner, puis Richard Strauss constituant ses premières références à cette époque. La même année 1902, Webern s’inscrit à l’université de Vienne où il suit les cours de Guido Adler en musicologie, ainsi que l’enseignement, en harmonie, d’Hermann Graedener et, en contrepoint, de Karl Navrátil. Webern sera l’un des rares compositeurs à acquérir une solide formation de musicologue, sanctionnée en 1906 par un doctorat (sous la direction d’Adler) consacré au Choralis constantinus d’Heinrich Isaac. L’étude, et l’édition qui suivra en 1909, de ce polyphoniste de la Renaissance n’est pas sans relation avec les choix du jeune compositeur qui se nourrira du contrepoint canonique d’Isaac dans les œuvres de sa première période avec la Passacaille op. 1 et le chœur op. 2, puis plus tard au moment de l’adoption de la série dodécaphonique schoenbergienne (Symphonie op. 21). Parmi les premières partitions de Webern, on notera la seule œuvre orchestrale d’inspiration programmatique, Im Sommerwind (1904) inspirée d’un poème de Bruno Wille.

Cette même année 1904, le jeune Webern se rend à Berlin dans le but d’étudier avec Hans Pfitzner, mais en reviendra déçu après les propos très dépréciatifs que ce dernier porte sur la musique de Strauss et de Mahler. De retour à Vienne, et sous la forte impression de l’audition de Verklärte Nacht, il intègre, avec deux camarades de l’université, Heinrich Jalowetz et Karl Horwitz, les cours de Schoenberg, en tant que l’un de ses premiers élèves, bientôt rejoint par Berg et d’autres auxquels il restera attaché (Erwin Stein, Egon Wellesz). Les études avec Schoenberg durent officiellement jusqu’en 1908, date de la composition de ses deux premiers opus réalisés sous la direction de son professeur.

Lorsque Schoenberg quitte Vienne pour Berlin en 1911, Webern le suit et participe activement à la vie musicale de son maître comme en témoigne le Journal tenu par ce dernier durant cette période, avant de revenir à nouveau à Vienne avec Schoenberg. Parallèlement, sa vie professionnelle se développe en tant que chef d’orchestre dans des théâtres (Innsbruck en 1909, Bad Teplitz et Danzig en 1910, Prague aux côtés de Zemlinsky en 1911, Stettin en 1912) où il reste fort peu de temps à chaque fois, manifestant ainsi un malaise et une instabilité qui seront récurrentes par la suite. Cette époque correspond à la période « atonale » de sa musique, marquée par un extrême souci de concentration et se traduisant par les œuvres les plus aphoristiques qu’il ait écrites. Marié à sa cousine Wilhelmine en 1911, Webern est mobilisé en 1915, puis habite Prague avant de rejoindre Schoenberg à Mödling, dans la banlieue de Vienne, en 1917. Il abandonnera la particule « von » de son nom en 1918.

Les années d’après-guerre sont surtout marquées par la « Société d’exécutions viennoises privées » (1918-1922) imaginée par Schoenberg et dans laquelle ses élèves sont fortement mis à contribution (117 concerts consacrés à la musique essentiellement contemporaine.) C’est également l’époque où Schoenberg met au point sa « méthode de douze sons », immédiatement adoptée par Webern dès 1925 (à partir des Lieder op. 17 et 18), et qu’il utilisera de façon beaucoup plus rigoureuse que son maître.

Après plusieurs tentatives infructueuses, Webern tiendra finalement deux séries de conférences consacrées à la musique de douze sons en 1932-1933, publiées après sa mort en 1960, d’après les notes de son élève Willy Reich sous le titre de Chemin vers la nouvelle musique. Mis à part quelques articles surtout consacrés à la musique de Schoenberg, ces conférences constituent l’essentiel des écrits de Webern. L’activité de chef de chœur de Webern à partir de 1921, puis de chef d’orchestre en 1927 (Arbeiter-Symphonie Konzert) lui apportent une certaine renommée, en particulier dans le répertoire des symphonies de Mahler dont il est l’un des grands interprètes. Il mène, en tant que chef invité, une carrière qui le conduira notamment à Londres jusqu’en 1936. Après le départ de Schoenberg en 1933 et la mort de Berg en 1935, Webern est de plus en plus isolé et vit dans des conditions précaires. Cette période voit néanmoins son engagement en faveur du national-socialisme, alors que son nom figure sur la sinistre liste de « l’art dégénéré ». La guerre accentue sa solitude qu’il compense par sa relation avec la poétesse Hildegard Jone à qui il empruntera plusieurs textes pour ses lieder et ses cantates. Son fils Peter, mobilisé, est tué en 1945, et la mort brutale du compositeur quelques mois après met fin à une œuvre restée confidentielle pendant plus de dix ans. Les différentes versions données de sa mort – le compositeur a été abattu par un soldat américain – ont voulu faire croire à une « erreur tragique » et à de sombres histoires d’implication de ses gendres dans le marché noir. En réalité, ceux-ci, nazis engagés et actifs, sont plus vraisemblablement à l’origine de cet événement, Webern ayant plus probablement protégé leur fuite en tentant de faire diversion.

© Ircam-Centre Pompidou, 2010


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