Établir une biographie, même succincte, de Galina Ivanovna Oustvolskaïa, ou Ustwolskaja (on adopte souvent cette translittération allemande des caractères cyrilliques de son nom du fait que son éditeur, Hans Sikorski, est hambourgeois), ou Ustvolskaja, ou Ustvolskaya, demeure, aujourd’hui encore, problématique, en raison d’un accès difficile, de seconde main, aux documents majoritairement en langue russe et de la rareté de la parole de la compositrice.
Née le 17 juin 1919, à Petrograd (Petrograd de 1914 à 1924, Leningrad de 1924 à 1991, Saint-Pétersbourg ensuite), d’un père avocat et d’une mère institutrice, Galina Oustvolskaïa joue sur le piano familial, étudie l’allemand et le violoncelle, avant d’entrer à l’École professionnelle de musique (1934-1937), puis au Conservatoire (1937-1948) de sa ville natale. Évacuée à Tachkent en août 1941, elle retrouve sa mère et sa sœur dans la République des Komis, regagne Leningrad en 1944 et y reprend ses études de composition au Conservatoire, où elle est élève de Maximilien Steinberg et de celui qu’elle tient alors pour le seul capable de lui enseigner quelque chose, Dimitri Chostakovitch. « Je crois que l’art de Galina Oustvolskaïa sera reconnu par tous ceux qui apprécient l’art musical vrai », écrira ce dernier au compositeur Boris Tichtchenko, le 17 avril 1970 — et Chostakovitch de citer un thème du Trio de son élève dans son Quatuor à cordes n° 5 ou dans la Suite sur des vers de Michel-Ange (n° 9). Mais la relation, personnelle — elle est demandée en mariage —, se distend bientôt. Oustvolskaïa déclare que la musique de Chostakovitch l’a toujours « déprimée », dénie toute influence de son professeur et l’accuse même d’avoir tué ses « meilleurs sentiments ». Chostakovitch, lui, écrit dans une lettre du 26 février 1960 à Isaac Glikmann par exemple : « On a beau être philosophe à l’égard de la misère, à la fin cette dernière (la misère) devient insupportable. Je pense que ni l’autodépréciation ni l’autoglorification ne font partie des qualités principales d’un artiste ». Admise à l’Union des compositeurs, Galina Oustvolskaïa est nommée, en 1947, professeur de composition à l’École professionnelle de musique du Conservatoire Rimski-Korsakov de Leningrad, poste qu’elle occupera jusqu’en 1975, mais sans guère de vocation pédagogique, et où elle comptera Tichtchenko parmi ses élèves.
Au cours des années cinquante, Galina Oustvolskaïa compose, dans la veine du réalisme socialiste en vigueur en Union soviétique, des œuvres qu’elle détruira ou retirera de son catalogue. Aussi diverses publications officielles du régime encensent-elles alors son inventivité, ses thèmes, sa maîtrise de la forme, sa connaissance de l’orchestration et des traditions classiques russes. Mais des manuscrits conservés de ses musiques de film portent l’indication : « Pour l’argent ». En 1958, une délégation de musiciens américains visite l’Urss dans le cadre d’un accord culturel à peine conclu et entend sa Sonate pour violon et piano (1952), que le compositeur Roy Harris tient pour « une sorte d’horreur ». Lors de sa visite en Urss, quatre ans plus tard, Stravinsky la comparera, selon Robert Craft, dans son Journal, à la date du 7 octobre 1962, à du Béla Bartók, en raison de ses tierces mineures descendantes « terriblement tristes », avant de faire, moqueur, de la compositrice « une élève de plus de Chostakovitch ».
À partir de 1961, progressivement isolée, refusant de participer à la vie institutionnelle et politique de Leningrad (« Il m’est difficile d’avoir des contacts avec qui que ce soit. Je suis extrêmement asociale »), et s’éloignant radicalement des idéaux réalistes socialistes, Galina Oustvolskaïa n’obtient que de rares exécutions de ses œuvres. Entre 1960, date de la mort tragique de son ami, le compositeur Youri Balkachine, et 1970, elle ne conserve de ce qu’elle compose que le Duo pour violon et piano (1964). Si la critique la tient encore en estime, le VAAP, l’organisme chargé des échanges avec l’étranger dans le domaine de la musique, ne lui consacre une plaquette que tardivement, en 1976. Menant une existence recluse, refusant les entretiens, s’opposant en outre à toute utilisation de sa musique au théâtre et pour la danse, elle édifie, en marge de l’esthétique officielle, des œuvres spirituelles et pleines d’« esprit religieux », qu’elle délivre avec parcimonie : « Je ne crois pas en ces compositeurs qui écrivent des centaines d’œuvres […]. On ne peut rien trouver de neuf dans un tel océan ».
La reconnaissance est tardive, sous l’impulsion de Jürgen Köchel, directeur des éditions Hans Sikorski, et du musicologue hollandais Elmer Schönberger, qui découvrent certaines de ces œuvres à Leningrad et entreprennent de les éditer et de les diffuser dans les principaux festivals de musique contemporaine européens, notamment aux Pays-Bas, où Reinbert de Leeuw donne des interprétations pour lesquelles Galina Oustvolskaïa s’enthousiasme. Dès lors, les concerts se multiplient en Occident (à Amsterdam, Vienne, Berne, Varsovie, Bastad, Paris…), incitant la compositrice à quitter à six occasions la Russie (en 1995, 1996, 1998, 1999, 2004 et 2005). Galina Oustvolskaïa meurt à Saint-Pétersbourg, le 22 décembre 2006.