Parcours de l' oeuvre de Kaija Saariaho

par Grégoire Lorieux

Les trois derniĂšres dĂ©cennies du vingtiĂšme siĂšcle resteront probablement comme Ă©tant celles de l’apparition de l’ordinateur dans l’atelier des compositeurs de musique savante. Pour la gĂ©nĂ©ration de ceux qui, nĂ©s dans les annĂ©es cinquante, gravitent autour de l’Ircam au dĂ©but des annĂ©es quatre-vingt (Philippe Hurel, Marc-AndrĂ© Dalbavie, Magnus Lindberg
), il s’agit spĂ©cifiquement d’intĂ©grer Ă  la grammaire spectrale issue de leurs collĂšgues un peu plus ĂągĂ©s (GĂ©rard Grisey, Tristan Murail
), les notions renouvelĂ©es par les progrĂšs de l’informatique musicale en matiĂšre d’analyse-synthĂšse et de connaissance psycho-acoustique. CaractĂ©risĂ©es par une accessibilitĂ© toujours plus aisĂ©e des outils informatiques pour la composition, ces annĂ©es marquent une appropriation intime des concepts et outils de l’informatique qui aboutit parfois Ă  une rĂ©elle mutation du mĂ©tier de compositeur.

Les outils de CAO (composition assistĂ©e par ordinateur) aident Ă  formaliser et Ă  accĂ©lĂ©rer le travail quotidien du compositeur, en particulier dans le cadre spectral, en multipliant la capacitĂ© de calcul, et par lĂ  mĂȘme les possibles dans l’élaboration des matĂ©riaux sonores. Cette puissance dissocie Ă  beaucoup d’égard le lien sĂ©culaire entre la main (vecteur de l’écriture) et l’oreille (contrĂŽle de la rĂ©alisation) jusqu’à dĂ©possĂ©der le compositeur de son apprentissage classique du mĂ©tier d’écriture. D’autre part, les progrĂšs des outils d’analyse spectrale favorisent la fusion des mondes instrumental et Ă©lectroacoustique : de l’analyse d’un son, peuvent aussi bien ĂȘtre gĂ©nĂ©rĂ©s des structures symboliques hautement formalisĂ©es (grand rĂ©servoir d’accords par exemple) que des matiĂšres rĂ©sultant de la combinaison ou de l’hybridation de diffĂ©rentes sources sonores acoustique ou de synthĂšse. L’ordinateur scrute et combine le matĂ©riau sonore bien plus loin que l’oreille ne saurait le faire seule. De mĂȘme, la synthĂšse sonore en proposant de construire le son musical ex nihilo, avec une complexitĂ© au moins Ă©gale Ă  celle des sons concrets ou instrumentaux, rĂ©clame une pensĂ©e paramĂ©trique complexe qui ne peut ĂȘtre gĂ©rĂ©e de maniĂšre satisfaisante qu’avec l’aide informatique. En retour, cette possibilitĂ© de composer littĂ©ralement le son ne peut qu’inviter Ă  une nouvelle conception de l’orchestration et de l’écriture instrumentale : ce sera le cas, en particulier, chez Kaija Saariaho. Enfin, l’essor de l’électronique en temps-rĂ©el ouvre des possibilitĂ©s d’interaction inĂ©dites entre la machine et les instruments de musique qui restent encore aujourd’hui largement inexplorĂ©es.

L’Ɠuvre de Kaija Saariaho participe pleinement de ce mouvement d’interaction Ă©troite entre dĂ©veloppements des technologies et Ă©volution des techniques de composition. Les crĂ©ateurs se trouvent alors face Ă  de nouvelles possibilitĂ©s, mais se doivent, pour espĂ©rer les assimiler Ă  leur esthĂ©tique propre, profondĂ©ment revoir leurs modes de pensĂ©e : Saariaho y parvient dĂšs sa premiĂšre pĂ©riode de crĂ©ation (jusqu’à 1987), caractĂ©risĂ©e par la volontĂ© de contrĂŽler les textures sonores grĂące aux programmes informatiques, suivant la notion d’axe timbral 1.

Cette premiĂšre pĂ©riode est marquĂ©e par l’arrivĂ©e de la compositrice en 1982 Ă  l’Ircam, oĂč elle dĂ©couvre la synthĂšse sonore, et sa nĂ©cessitĂ© d’écrire le son en contrĂŽlant de trĂšs nombreux paramĂštres en parallĂšle. Ses premiĂšres rĂ©alisations dans ce domaine comportent souvent des glissements progressifs d’un Ă©tat sonore complexe Ă  l’autre. En effet, comme de nombreux compositeurs de sa gĂ©nĂ©ration, Saariaho rĂ©investit l’habitus formel du processus (hĂ©ritage direct de György Ligeti et des premiers spectraux) par la notion d’interpolation (issue de l’informatique). Ainsi, Vers le blanc (1982, bande magnĂ©tique) utilise uniquement le programme CHANT contrĂŽlĂ© par des interpolations trĂšs fines qui permettent de donner aux voix synthĂ©tiques une Ă©volution et une vie constantes. Le cycle des Jardins Secrets (Jardin Secret I pour bande, 1985, Jardin Secret II pour clavecin et Ă©lectronique, 1986) est l’occasion de dĂ©velopper l’un des premiers programmes informatiques visant Ă  contrĂŽler les Ă©volutions des sons synthĂ©tiques comme celles des textures instrumentales, par un systĂšme d’interpolation intĂ©grant toutes les dimensions musicales (harmonie, rythme, dynamiques, timbre
). Verblendungen (1984, orchestre) applique ces idĂ©es d’évolution contrĂŽlĂ©e de tous les paramĂštres musicaux Ă  l’écriture orchestrale. Cette fois, les paramĂštres choisis concernent surtout des Ă©volutions Ă  l’échelle macroscopique : densitĂ© polyphonique, harmonique, instrumentale, rythmique, Ă©quilibre entre la bande magnĂ©tique et l’orchestre
 C’est un pas vers la dĂ©finition de l’axe timbral 1. Cette notion vise Ă  dĂ©finir une situation musicale donnĂ©e, du point de vue du timbre, Ă  la fois qualitativement et fonctionnellement. Le timbre y est compris comme une qualitĂ© de texture sonore (au sens quasi-Ă©lectroacoustique du terme) qui se dĂ©finit par l’harmonie, la couleur instrumentale, la densitĂ© rythmique
 et acquiert une sorte de fonction grammaticale, entre « dissonance » (« son bruité ») et « consonance » (« son clair »). Lichtbogen (1986, ensemble) illustre parfaitement ces idĂ©es. Des sons de violoncelle de plus en plus bruitĂ©s, moins analysĂ©s en termes harmoniques qu’interprĂ©tĂ©s comme geste formel global, sont le point de dĂ©part de la piĂšce. Le modĂšle sonore choisi, vu comme une sorte d’objet Ă©voluant dans un espace Ă  trois dimensions, acquiert des Ă©paisseurs et des brillances. Ces variations de matiĂšre, perçues avec une sensibilitĂ© plastique, sont transcrites musicalement par des variations de texture entre son clair et son bruitĂ©, Ă  diffĂ©rentes Ă©chelles. C’est bien le modĂšle sonore/plastique de dĂ©part qui dicte Ă  la fois la macro-forme de Lichtbogen, et les micro-Ă©volutions de texture instrumentale. Saariaho parvient dans cette piĂšce Ă  une organisation rhĂ©torique qui associe ses prĂ©cĂ©dentes recherches de formalisation avec l’expression de ses toutes premiĂšres piĂšces.

La pĂ©riode qui s’ouvre entre 1987 et 1994 s’oriente vers un plus grand dramatisme : plans diffĂ©renciĂ©s, polyphonies de processus, tensions entre couches tectoniques. La directionnalitĂ© caractĂ©ristique des Ɠuvres antĂ©rieures, se doublent dĂ©sormais d’interpolations multiples, de superpositions conflictuelles, parfois dĂ©chirĂ©es par de violentes ruptures. De 1987 jusqu’aux piĂšces maĂźtresses des annĂ©es 1990-1992 que sont le diptyque Du cristal ...Ă  la fumĂ©e (1989-1990, pour orchestre, puis pour flĂ»te, violoncelle et orchestre), Amers (1992, pour violoncelle, ensemble et Ă©lectronique) PrĂšs (1992, pour violoncelle et Ă©lectronique) et NoaNoa (1992, pour flĂ»te et Ă©lectronique), les Ɠuvres de Saariaho prennent systĂ©matiquement appui sur des matĂ©riaux issus d’analyses spectrales. Nymphea (Jardin Secret III, 1988 pour quatuor Ă  cordes et Ă©lectronique) se construit par superposition de processus mĂ©lodiques et timbraux, interrompus par de grandes brisures. L’orchestre de Du cristal procĂšde par collisions et couches de blocs de son massifs. Io (1987 pour ensemble et Ă©lectronique) confie plusieurs plans parallĂšles d’évolutions rythmiques, harmoniques et timbrales Ă  l’ensemble et Ă  l’électronique. Des sons de contrebasse ont servi Ă  l’élaboration de la partie Ă©lectronique comme des parties instrumentales : les rĂ©sultats des analyses spectrales sont affectĂ©s Ă  des filtres, plus ou moins rĂ©sonants, ce qui permet un contrĂŽle prĂ©cis de l’épaisseur du tissu Ă©lectronique, c’est-Ă -dire des seuils de perception entre timbre et harmonie. Conjointement une notion Ă©merge progressivement, qui deviendra centrale : celle d’espace rĂ©sonant.

La notion d’espace rĂ©sonant est induite par l’utilisation d’une nouvelle mĂ©thode d’analyse-synthĂšse : celle par modĂšle de rĂ©sonance, que la compositrice explore dĂšs son invention en 1985. Avec une analyse spectrale classique (FFT, par exemple), on prend des « photographies » d’un son, sĂ©parĂ©es dans le temps. Les rĂ©sultats, sous forme de hauteurs et d’intensitĂ©s, sont « transcriptibles » en accords : l’utilisation de ce matĂ©riel est a priori destinĂ©e Ă  une re-synthĂšse plus ou moins fidĂšle du son d’origine (synthĂšse additive ou « instrumentale »). Au contraire, la mĂ©thode d’analyse par modĂšle de rĂ©sonance donne un rĂ©sultat qui reprĂ©sente statistiquement le son entier. On crĂ©e ainsi un ensemble de filtres rĂ©sonants, que l’on utilise, concrĂštement, comme une sorte de rĂ©verbĂ©ration dont la coloration est trĂšs similaire Ă  celle du son analysĂ©.

Il s’agit donc d’un systĂšme dynamique, qui n’est pas un « objet » musical figĂ© mais un filtre ; qui n’est pas un Ă©lĂ©ment agissant (poser un accord pour dĂ©finir un champ harmonique est un geste actif) mais un Ă©lĂ©ment qui rĂ©agit (un filtre sans impulsion ne donne pas de son). Ce filtre dĂ©finit le comportement spectral d’un modĂšle sonore, assimilĂ© Ă  un rĂ©sonateur : il s’agit d’un espace rĂ©sonant. Ce qui compte, c’est la dĂ©finition de cet espace et l’inscription des Ă©vĂ©nements dans cet espace, non plus la reprĂ©sentation et la dĂ©formation d’un modĂšle initial. C’est donc Ă  l’intĂ©rieur d’un espace rĂ©sonant que va se construire le discours musical. La notion de synthĂšse instrumentale est ainsi dĂ©passĂ©e par la notion d’espace de rĂ©sonance.

Cette notion nouvelle a permis de repenser la figuration du matĂ©riau spectral. Jusqu’alors, la figure musicale passait au second plan d’une Ă©criture essentiellement harmonique, vouĂ©e Ă  la description du modĂšle (cf. les premiĂšres piĂšces monumentales de la fin des annĂ©es soixante-dix de Murail et Grisey). La seconde gĂ©nĂ©ration des compositeurs spectraux, en souhaitant se rĂ©approprier un certain dynamisme rythmique Ă  l’aide de figures (parfois de patterns), a parfois perdu de vue la dĂ©finition harmonique du rapport de consonance avec le modĂšle de dĂ©part. La notion d’espace rĂ©sonant ouvre la possibilitĂ© d’une rĂ©conciliation de ces deux exigences. Comme les cordes sympathiques d’une viole d’amour, l’espace de rĂ©sonance dĂ©finit un background sonore. Comme les mĂ©lodies et accords jouĂ©s sur les cordes supĂ©rieures de la viole peuvent entrer plus ou moins en consonance avec les cordes sympathiques, les figures musicales s’inscrivent Ă  la fois dans cet espace harmonique tout en le dĂ©crivant, en Ă©pousant plus ou moins sa configuration.

Dans le concerto pour violoncelle Amers (puis sa reformulation soliste PrĂšs), le modĂšle spectral est un mi bĂ©mol trillĂ© (entre son harmonique et son appuyĂ©) : celui-ci ouvre la piĂšce, jouĂ© par le violoncelle. Mais en rĂ©alitĂ©, le trille n’est son que dans la mesure oĂč il dĂ©crit une rĂ©sonance, celle de la corde qu’il fait vibrer. Les accords extraits Ă  diffĂ©rents endroits du son, prĂ©sentĂ©s au cours de l’Ɠuvre sous forme de sons Ă©lectroniques, re-synthĂšses sonores du trille, ou encore sous la forme de figures pour le violoncelle et l’orchestre, dĂ©crivent (re-prĂ©sentent) le son d’origine. Ils matĂ©rialisent des repĂšres formels, comme les amers servent de repĂšres pour les navigateurs. C’est alors l’Ɠuvre dans son entier qui simule le modĂšle. Amers est ainsi une Ɠuvre de transition, entre une formulation « classique » du matĂ©riau, avec un aspect rĂ©ellement « rĂ©sonant ».

NoaNoa est le nom d’une gravure sur bois de Gauguin — la gravure est une sculpture en creux. Dans sa piĂšce Ă©ponyme, Saariaho s’appuie sur l’électronique pour dĂ©finir un espace spectral de maniĂšre progressive : des rĂ©verbĂ©rations infinies et larges Ă©voluent vers des filtres rĂ©sonants accordĂ©s sur un multiphonique de flĂ»te. Cette « fermeture » progressive des filtres peut ĂȘtre rapprochĂ©e d’une Ă©volution sur l’axe timbral du son « bruité » vers le son « clair ». De maniĂšre inverse, la flĂ»te part globalement de figures « claires », qui sont projetĂ©es dans le flou de la rĂ©verbĂ©ration, vers des figures « bruitĂ©es », multiphoniques et souffles, qui excitent les filtres rĂ©sonants sur des hauteurs prĂ©cises.

La pĂ©riode suivante (1994-2000), voit l’écriture de Saariaho Ă©voluer vers une dramaturgie plus directe, quitte Ă  abandonner la rigueur des procĂ©dĂ©s mis en Ɠuvre dans les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. C’est la pĂ©riode des figures « toupies », courtes et tourbillonnantes, qui, dans Graal ThĂ©Ăątre (1995, pour violon et orchestre), Trois RiviĂšres (1994, pour percussion et Ă©lectronique) ont un caractĂšre expressif intense et sĂ©duisant. Dans Six Japanese Gardens (1995, pour percussion et Ă©lectronique), ces ostinatos tendent peu Ă  peu vers l’immobilitĂ© de la mĂ©ditation, consĂ©quence logique de l’exploration, par une Ă©criture de figures, d’un espace rĂ©sonant fixe et unique.

Mais cette pĂ©riode est surtout marquĂ©e par l’avancĂ©e progressive de l’opĂ©ra L’amour de loin, chef-d’Ɠuvre qui marquera la reconnaissance internationale de la compositrice auprĂšs d’un trĂšs large public. Les piĂšces prĂ©paratoires ChĂąteau de l’ñme (1995, pour soprano, mezzo, chƓur de femmes et orchestre) et Lonh (1996, pour soprano et Ă©lectronique) ont une Ă©criture vocale volontiers diatonique. La premiĂšre piĂšce, de caractĂšre assez hiĂ©ratique, prolonge la voix soliste dans le chƓur, tandis que l’orchestre embrasse le tout. La sensation d’espace rĂ©sonant se construit ici autour de modes diatoniques, un peu Ă  la maniĂšre debussyste. Lonh, adaptation du cĂ©lĂšbre Lanquan il jorn
 de JaufrĂ© Rudel, habille la voix de Dawn Upshaw de voiles Ă©lectroniques raffinĂ©s. PensĂ© comme un extrait de l’opĂ©ra Ă  venir, Lonh dĂ©limite autour de la voix des espaces rĂ©alisĂ©s Ă  partir d’analyses spectrales par modĂšles de rĂ©sonance, dans lesquels la mĂ©lodie Ă©volue.

L’amour de loin (2000, opĂ©ra) parle, comme la piĂšce radiophonique Stilleben (1988) de l’éloignement des amants. DĂ©jĂ  avec Amers et Du cristal, la mer apparaĂźt ici comme l’élĂ©ment de dĂ©-liaison et de fusion tout Ă  la fois – jusqu’à symboliser le liquide primordial. Saariaho a souhaitĂ© caractĂ©riser chacun des personnages (JaufrĂ©, ClĂ©mence, le PĂšlerin) par une famille spectrale, obtenue par analyse de sons instrumentaux divers. Ainsi, les relations dramaturgiques entre les personnages de l’opĂ©ra se manifestent dans la construction harmonique : chaque personnage agissant ou recueillant l’harmonie d’un autre. Dans les monologues, une seule famille spectrale est reprĂ©sentĂ©e, sous la forme de longues plages harmoniques et d’échelles mĂ©lodiques qui en sont tirĂ©es. Le dialogue entre les personnages se caractĂ©rise par le croisement, par filtrage, des familles spectrales entre elles. Des sons Ă©lectroniques fusionnent avec l’orchestre : comme dans Lonh, ils sont composĂ©s de bruits de la nature filtrĂ©s par les modĂšles spectraux, eux-mĂȘmes extraits de sons instrumentaux. L’écriture vocale, quant Ă  elle, s’adapte parfaitement Ă  la prosodie du texte de Amin Maalouf, rĂ©inventant une forme de « rĂ©citatif continu », solution efficace pour l’opĂ©ra français, de Lully Ă  Debussy, notamment avec des rythmes harmoniques lents. Le rythme harmonique est d’ailleurs globalement lent dans tout l’opĂ©ra, qui prend soin d’installer des espaces rĂ©sonants, des milieux, dans lesquels les voix Ă©voluent. AssociĂ© aux jeux des couleurs de timbres et au dĂ©ploiement mĂ©lodique, cette notion d’espace rĂ©sonnant sonne alors comme une relecture de l’éthos de l’ancienne modalitĂ©.

Les Ɠuvres qui suivent L’amour de loin se diversifieront, sans abandonner une veine assez directement expressive. Sa musique pourrait ĂȘtre aujourd’hui caractĂ©risĂ©e comme un flux d’affects traversant tempĂȘtes, accalmies ou supplications
 Ce sont les concertos aĂ©riens L’aile du songe (2005, pour flĂ»te et ensemble), Notes on light (2006, pour violoncelle et orchestre), les piĂšces solistes virtuoses Vent nocturne (2006, pour alto et Ă©lectronique), Couleurs du vent (2005, pour flĂ»te alto) ; pour la musique vocale : The Tempest Songbook (2002-2005, cycle pour soprano, baryton et huit instruments, d’aprĂšs Shakespeare), La passion de Simone (2007, oratorio, en hommage Ă  Simone Weil). Également des fresques orchestrales : Nymphea Reflection (2002, pour orchestre Ă  cordes), Orion (2004, pour orchestre), qui cĂ©lĂšbrent la maĂźtrise de la sensualitĂ© des timbres de l’orchestre. Saariaho a composĂ© un second opĂ©ra, Adriana Mater (2005), oĂč l’atmosphĂšre fĂ©erique et lĂ©gendaire du premier opĂ©ra, cĂšde la place Ă  une reprĂ©sentation violente de la guerre des Balkans des annĂ©es quatre-vingt dix. Dans cet opĂ©ra, comme dans l’Ɠuvre de chambre prĂ©paratoire Je sens un deuxiĂšme cƓur (2005, pour alto, violoncelle et piano), on retrouve la mĂ©taphore de deux cƓurs qui battent dans le corps d’une femme enceinte : une superposition de pulsations donnĂ©es Ă  la grosse caisse et Ă  un crotale, et du mi bĂ©mol trillĂ© au violoncelle (le mĂȘme qu’Amers, et prĂ©sent dans de trĂšs nombreuses piĂšces de la compositrice), Ă©lĂ©ment symbolique de fusion, matricielle et maternelle.

  1. SAARIAHO Kaija, « Timbre et harmonie », Le timbre, métaphore pour la composition, Jean-Baptiste BarriÚre éd., Paris, Ircam - Christian Bourgois, 1991, p. 413.
© Ircam-Centre Pompidou, 2013


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