Le quatuor à cordes Nymphea porte le sous-titre Jardin secret III, qui le relie à la série des œuvres de même titre (I, II) utilisant un réseau identique de programmes informatiques dévéloppé par Kaija Saariaho au cours des années 80. La partie électronique traite les sons du quatuor en cours d'exécution. Vers la fin de la pièce, les musiciens récitent des fragments d'un poème d'Arseniy Tarkovski.
Le quatuor à cordes, de tous les genres musicaux, celui qui est le plus attaché à son histoire bicentenaire, est une apparition surprenante dans l'œuvre de Kaija Saariaho. Par ailleurs, l'ensemble composé de quatre instruments à cordes offre quantité de façons différentes de produire des sons, depuis le bruit jusqu'aux harmoniques les plus purs. Dans le même temps, Nymphea constitue une suite naturelle au style d'écriture pour cordes de Lichtbogen et de Io.
Le monde harmonique des compositions se fonde sur la sonorité du violoncelle au spectre riche, que le compositeur a analysée à l'aide de l'ordinateur ; les structures révélées par cette analyse ont ensuite été utilisées pour composer le monde harmonique de l'œuvre. C'est de là que découle également le sous-titre, Jardin secret III, lequel fait allusion au réseau de programmes d'ordinateur qui relie le quatuor aux deux autres partitions de la série du même nom.
Bien entendu, Kaija Saariaho élargit encore son monde sonore avec les moyens de transformation électronique. S'ajoute également à la sonorité et à la signification de l'œuvre le texte entendu à la fin, un poème d'Arseniy Trakovski (traduit en anglais par Kitty Hunter-Blair), dont les vers sont murmurés par les musiciens dans des microphones connectés à des traitements numériques.Le texte mélancolique de Tarkovski, qui évoque le désir qu'a l'homme d'atteindre l'inconnu, commence par les vers :
Summer is gone
And might have never been
In the sunshine it's warm.
But there has to be more.
Une autre allusion extramusicale est le titre de l'œuvre qui rappelle les nénuphars de Claude Monet, bien que le compositeur ait probablement eu l'idée du nénuphar comme objet physique, au moment d'écrire : « Quelques idées qui me préoccupaient au moment de la composition de la pièce : image de la structure symétrique du nénuphar qui, flottant sur les eaux, se plie, se transforme. Les différentes interprétations de la même image : d'une part, la surface homogène avec ses couleurs, ses formes, d'autre part, les différentes matières, leurs états et leurs dimensions. »
Risto Nieminen,notice du CD Ondine ODE 804-2.
Depuis déjà quelques années, j'ai manifesté dans ma musique des tendances à associer le contrôle du timbre et le contrôle de l'harmonie.J'ai d'abord commencé à utiliser l'axe son/bruit pour élaborer soit des phrases musicales, soit des formes plus importantes et façonner par là les tensions intérieures de la musique. Dans un sens abstrait et atonal, l'axe son/bruit peut, en quelque sorte, se substituer à la notion de consonance/dissonance. Une texture bruitée et grenue serait ainsi assimilable à la dissonance, alors qu'une texture lisse et limpide correspondrait à la consonance. Il est vrai que le bruit dans le sens purement physique est une forme de dissonance poussée à l'extrême. [...]
L'existence de l'axe son/bruit est une abstraction qui peut être appliquée à des échelles différentes : on peut le matérialiser avec un seul trait d'archet, ou alors en utilisant tous les instruments d'un orchestre. Chaque instrument, mode de jeu et son synthétique a dans mon esprit sa place dans l'espace de timbres ainsi défini.
Kaija Saariaho,« Timbre et harmonie », in Le Timbre, métaphore pour la composition, Christian Bourgois, Ircam, 1991. (Textes réunis par Jean-Baptiste Barrière.)
Risto Nieminen/Kaija Saariaho, notice du cd Ondine ODE 804-2.