Sofia Asgatovna Goubaïdoulina est née le 24 octobre 1931 à Tchistopol, en République autonome tatare. Son père, ingénieur des mines, tatare, et sa mère, institutrice, Russe d’origine juive polonaise, sont un exemple d’assimilation à la soviétique, mais sont également typiques du creuset multiculturel que constitue la capitale Kazan, où s’installe la famille l’année suivant sa naissance. À la fois carrefour et centre, ce lieu au riche passé universitaire attire alors de nombreux intellectuels. Goubaïdoulina, dont le grand-père paternel était un mollah, dira plus tard : « Je suis l’endroit où l’Orient rencontre l’Occident1 ». Une icône, découverte à l’âge de cinq ans à l’occasion de vacances passées dans le village de Nijni Uslon sur les rives de la Volga, lui apparaît comme une révélation de sa propre conscience religieuse. Lors d’une enfance à Kazan décrite comme particulièrement terne, la musique qu’elle pratique sur le piano offert par ses parents est un refuge. Pourtant, elle ressent tôt une distance entre ce à quoi elle aspire et ce que lui impose le cadre scolaire, si bien qu’elle développe un goût marqué pour l’improvisation et l’exploration du potentiel du piano, notamment le jeu dans les cordes. Elle étudie à l’Académie de musique (1946-1949), puis au Conservatoire de Kazan (1949-1954), alors que son activité créatrice commence dès le début des années 1950.

Outre une solide formation en piano au cours de laquelle l’un de ses professeurs, Leopold Lukomski, lui fait découvrir la musique de Denisov, Goubaïdoulina étudie la composition avec Albert Leman. Mais ce sont les études de composition à Moscou à partir de 1954 qui apportent à Goubaïdoulina une véritable ouverture musicale, alors que tout ce qui vient de l’Ouest est interdit. Nikolaï Peïko, assistant de Chostakovitch, l’initie à Mahler, Schoenberg et Stravinsky. Déjà, elle manifeste une tendance à dévier du droit chemin esthétique jdanovien – à peine assoupli par le processus de déstalinisation timidement entamé depuis 1953 –, tendance qu’encourage discrètement Chostakovitch à l’occasion d’un examen de fin de cycle. Pendant son Aspirantur sous la supervision de Vissarion Chebaline (1959-1962), elle se livre à des expériences avec le matériau folklorique tatare et la musique électronique. Elle s’intéresse au synthétiseur opto-électronique ANS de Yevgeny Murzin, instrument avec lequel elle réalise en 1970 une pièce électronique. Dans les années 1960, Philipp Herschkowitz, juif roumain qui avait étudié avec Webern, joue un rôle important de passeur, grâce à son enseignement clandestin à Moscou, dont l’influence sur Goubaïdoulina est évidente, même si cette dernière n’applique jamais avec rigueur une combinatoire sérielle.

Dans un contexte politique où les nouvelles œuvres musicales doivent être validées par la puissante Union des compositeurs, toute audace novatrice expose les compositeurs à un blocage. L’activité que Goubaïdoulina commence à développer dans le domaine de la musique de film à partir de 1964 (essentiellement des films d’animation dans un premier temps) lui assure des revenus au moment où sa musique, comme celle de ses confrères Alfred Schnittke, Edison Denisov, Viktor Suslin et Viatcheslav Artiomov entre autres, est officiellement interdite d’exécution publique au début des années 1970. En 1975, le groupe d’improvisation Astreia, fondé avec Artiomov et Suslin, lui permet, jusqu’en 1981 – l’émigration de Suslin mettant une fin provisoire aux activités du groupe –, une pratique musicale libre qui compense en partie la frustration de devoir composer dans la clandestinité. Elle est inquiétée à la même époque par le KGB à cause des activités d’édition clandestine de son second mari, Nicolas (Nikolaï) Bokov. Alors qu’elle commence à être jouée à l’étranger dans les années 1970, elle voit en 1979 son nom inscrit sur une liste noire de l’Union des compositeurs. La création à Vienne en 1981 de son concerto pour violon Offertorium par Gidon Kremer marque le début de sa reconnaissance internationale. La compositrice voyage hors de l’URSS pour la première fois en 1984, à l’occasion d’un festival en Finlande. À la levée en 1986 des restrictions de sortie du territoire, elle est en mesure d’assister de plus en plus souvent à la création de ses œuvres dans les pays de l’Ouest. Elle reçoit alors un nombre croissant de prix et de récompenses honorifiques. À l’été 1992, elle émigre vers l’Allemagne, s’établissant à Appen, à proximité de Hambourg où elle réside encore aujourd’hui.

  1. Gerard McBurney, « Encountering Gubaidulina », The Musical Times, CXXIX/1741 (1988), p. 120.
© Ircam-Centre Pompidou, 2015


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