Guo Wenjing est né le 1er février 1956 à Chongqing, dans la province du Sichuan, au sud-ouest de la Chine. Son père fait partie de l’équipe médicale de l’hôpital local, où sa mère travaille également, en tant qu’infirmière. Leurs proches, dans le Nord de la Chine, sont de pauvres paysans. Mais en tant que membres du Parti communiste chinois, les parents de Guo ont pu, après la victoire de l’Armée populaire de libération en 1949, échapper à cette pauvreté et partir vers le sud, où ils commencent une nouvelle vie, désormais urbaine. Le foyer ne compte aucun musicien. Pendant la Révolution culturelle, au moment où Chongqing devient, comme de nombreuses autres villes, le théâtre d’affrontements de rue et de luttes armées, les parents de Guo achètent à leur fils de 12 ans un violon, dans l’espoir de le tenir à l’écart des violences. La Révolution culturelle lui ouvre ainsi la voie d’une carrière musicale.

En 1971, Guo rejoint, d’abord comme percussionniste, puis comme violoniste, une troupe locale de danse et de chant de Chongqing, dont un musicien plus âgĂ© lui donne une formation professionnelle en violon. L’orchestre, de taille moyenne, composĂ© uniquement d’instruments occidentaux, exĂ©cute des opĂ©ras « modèles Â» (des pièces de propagande politique, curieux mĂ©lange d’opĂ©ra chinois et de musique de films hollywoodiens). L’ensemble utilise des partitions Ă©crites en notation occidentale. Guo en fait partie pendant sept ans, avant d’abandonner, au milieu des annĂ©es 1970, le violon au profit de la composition. Il commence par de la musique rĂ©volutionnaire, aussitĂ´t jouĂ©e par la troupe de danse et de chant. Le niveau, assez faible, permet nĂ©anmoins Ă  Guo d’acquĂ©rir un savoir-faire de première main en matière d’orchestration : il peut juger immĂ©diatement des rĂ©sultats de son Ă©criture. Grâce Ă  ses collègues musiciens, et en Ă©coutant en secret des disques vinyles, il se familiarise avec le rĂ©pertoire classique occidental, dont l’écoute et la diffusion sont officiellement interdites Ă  cette Ă©poque.

En 1977, peu de temps après la mort de Mao Zedong, les universités et les conservatoires chinois rouvrent. La musique occidentale fait progressivement retour dans les cursus et gagne les salles de concert. En 1978, Guo est admis au Conservatoire central de Pékin, où il rejoint la classe de composition dirigée par Li Yinghai et Su Xia, et où il a pour condisciples Tan Dun, Xiao-Song Qu et Chen Qigang, parmi d’autres compositeurs qui deviendront célèbres. Mais en 1983, après un mariage non autorisé avec l’une des étudiantes du conservatoire, il est contraint de retourner à Chongqing. Au cours des sept années suivantes, il réalise de nombreuses partitions pour le cinéma et pour la télévision. En 1990, il revient au Conservatoire central de Pékin, où il est nommé professeur de composition.

Les Ĺ“uvres symphoniques et de musique de chambre Ă©crites pendant ses annĂ©es d’études baignent dans une rythmique bartĂłkienne et des ambiances sombres, souvent appuyĂ©es, qui rappellent Chostakovitch. Son premier succès orchestral Ă  l’étranger, Suspended Ancient Coffins on the Cliffs in Sichuan (1983, crĂ©Ă© Ă  Berkeley en Californie), est influencĂ© par BĂ©la BartĂłk et Krzysztof Penderecki, alors que l’esprit de Dimitri Chostakovitch rĂ©sonne dans son Concerto pour violon (1986-1987) et sa troublante cantate Shu Dao Nan (1987). Les festivals consacrĂ©s Ă  la musique contemporaine chinoise contribuent Ă  Ă©tablir sa rĂ©putation internationale Ă  Hong Kong (1986) et Ă  Édimbourg (1987) ; et des ensembles Ă©trangers interprètent sa musique de chambre. Guo troque peu Ă  peu le ton large et effusif, sinon romantique, de ses premières Ĺ“uvres pour une nouvelle forme de sophistication, Ă  travers une libre adaptation d’élĂ©ments issus de la musique populaire. She Huo (1991), composĂ© après son retour Ă  PĂ©kin, utilise profusĂ©ment des percussions chinoises Ă©voquant l’atmosphère des fĂŞtes rurales. Première d’une sĂ©rie d’œuvres commandĂ©es par le Nieuw Ensemble d’Amsterdam, elle est suivie de près par son puissant et sombre opĂ©ra de chambre Wolf Cub Village (1994), sur un livret de Zeng Li. CrĂ©Ă©e lors du Holland Festival en 1994, cette libre adaptation du Journal d’un fou (Kuangren riji) de Lu Xun est reprise dans de nombreux festivals en Europe et en Asie, confirmant la rĂ©putation de Guo comme l’un des compositeurs chinois novateurs les plus prometteurs. Son deuxième opĂ©ra, Night Banquet (Ye yan, 1998), Ă©crit pour l’Almeida Theatre de Londres et le Hong Kong Arts Festival, est plusieurs fois mis en scène, renforçant son autoritĂ© en Chine comme Ă  l’étranger. Dans ces deux opĂ©ras, ainsi que dans d’autres Ĺ“uvres ultĂ©rieures, Guo exploite les thèmes centraux des histoires chinoises, parmi lesquels les fantĂ´mes, la sorcellerie, ainsi que toutes sortes d’évĂ©nements fantastiques et mystĂ©rieux. Guo devient alors un nom reconnu dans les plus prestigieux rendez-vous musicaux internationaux, du Festival d’automne Ă  Paris au Holland Festival, de PĂ©kin Ă  Varsovie, de Perth Ă  New York. Il compose pour des ensembles rĂ©putĂ©s comme le Kronos Quartet, le Quatuor Arditti, l’Ensemble Modern, l’Orchestre Symphonique de Göteborg, et pour les principaux orchestres symphoniques de la Chine continentale.

Sa première visite aux États-Unis, en 1996, suscite un grand intĂ©rĂŞt. Guo passe plusieurs mois Ă  New York et donne des cours dans diverses universitĂ©s amĂ©ricaines â€“ cela ne sera pas son seul sĂ©jour de longue durĂ©e Ă  l’étranger. NĂ©anmoins, Ă  la diffĂ©rence de plusieurs de ses collègues, il n’aspire pas Ă  quitter son pays pour Ă©tudier ou faire carrière en Occident. Il continue de vivre et de travailler en Chine et accepte en 2001 la vice-direction du dĂ©partement de composition du Conservatoire central de PĂ©kin.

Auteur de plusieurs concertos pour des instruments chinois, Guo livre plusieurs Ĺ“uvres majeures pour percussions chinoises (Drama, 1995, et Parade, 2004) et poursuit ses explorations dans le domaine du théâtre musical avec des opĂ©ras paraphrasant l’opĂ©ra traditionnel du Sichuan (Fenyiting, 2004, et Si Fan / The Inner Landscape, 2016), ou empruntant Ă  l’opĂ©ra de PĂ©kin â€“ sa trilogie des hĂ©roĂŻnes chinoises : Mu Guiying (2003), Hua Mulan (2004) et Liang Hongyu (2008) ; crĂ©Ă©es Ă  PĂ©kin, ces Ĺ“uvres d’envergure partent en tournĂ©e Ă  Singapour et dans d’autres villes asiatiques, avant la reprise de la trilogie entière au cours du Holland Festival en mai-juin 2008. Deux autres de ses opĂ©ras, Poet Li Bai (2007) and Luotuo Xiangzi (Le Pousse-pousse, 2014), d’après Lao She, mĂŞlent des influences chinoises Ă  un idiome occidental plus romantique, parfois proche de Puccini. Ce style domine d’autres Ĺ“uvres, dont le ballet orchestral Peony Pavilion (2008), reçu de manière mitigĂ©e par la critique lors de son exĂ©cution aux États-Unis en 2015. Guo affirme qu’il compose dans ce genre en conservant Ă  l’esprit les goĂ»ts stylistiques du public chinois – et, plus largement, du public asiatique.

© Ircam-Centre Pompidou, 2016


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