Les Six bagatelles pour quintette à vent sont du « Ligeti préhistorique » et sont influencées tout particulièrement par Bartok et Stravinsky. Elles ont été écrites à Budapest, après la guerre, où dominait alors un environnement musical de tradition classique, presque totalement dépourvu de connaissances dans le domaine de la musique du XXe siècle (à l’exception de Debussy, Bartók et Kodály). Avec la mise en place de la dictature communiste, toutes les formes d’« art moderne » sont devenues interdites, même les œuvres les plus progressistes de Bartók, comme les quatuors n° 3 et 4, Le Mandarin merveilleux, ou Musique pour cordes, percussion et célesta. Il n’y avait aucun contact possible avec les courants culturels et artistiques de l’Europe de l’Ouest ; les stations de radio de ces pays, par exemple, étaient brouillées. Mon impression en écoutant la diffusion de pièces de compositeurs inconnus au début des années 50 – comme Messiaen, Dallapiccola, Henze – était donc étrange car les seules notes qui perçaient le brouillage étaient les aigus de la flûte piccolo et du glockenspiel.
Les Six bagatelles sont dérivées d’une série de pièces pour piano (Musica ricercata), écrites entre 1951 et 1953, période de mon isolement artistique. Mon but était de m’éloigner de l’influence de Bartók et Stravinsky et de définir un style personnel, mais je n’y parvins que partiellement : dans la première pièce, l’empreinte de Stravinsky est évidente tandis que la cinquième évoque délibérément les gestes musicaux de Bartók (la pièce est écrite « Bartók in memoriam »). Aujourd’hui, après tant d’années et après avoir développé un style personnel, quand j’observe ces Six bagatelles, la troisième – l’Allegro grazioso – me parait être la plus originale, malgré son langage musical suranné. On y trouve une orchestration particulière, combinant mélodieusement la flûte et le hautbois d’une façon telle que la flûte interprète la mélodie dans le registre le plus grave et le hautbois à l’octave le plus haut (contrairement à la combinaison habituelle où la flûte joue l’octave au-dessus du hautbois, renforçant ainsi ses nuances).
Même ces pièces traditionnelles furent interdites quand je les écrivis. Il n’y avait aucunes possibilités de les jouer ou de les publier, jusqu’à ce que la situation politique devienne un peu moins stricte. Durant l’été 1956, il y eut un relâchement temporaire de la dictature dans les pays communistes d’Europe de l’Est. Ainsi, mes Six bagatelles furent données à Budapest à l’automne 1956 (par le Jeney Wind Quintet) sous le titre Cinq bagatelles. En effet, la sixième pièce était toujours interdite à cause de la profusion de secondes mineures ; les systèmes totalitaires n’aiment pas les dissonances.
György Ligeti.