Une des vocations essentielles de l'organisation de P.-O. Ferroud était la diffusion en France des chefs-d'œuvre étrangers. Dès lors, son rôle dépassa largement le cadre d'une simple « organisation » de concerts, pour devenir davantage un lieu de rencontre et d'échanges entre musiciens, compositeurs et public. Les programmes, bien qu'éclectiques, étaient à peu près seuls, dans le Paris d'avant-guerre, à offrir l'occasion d'entendre Bartok, Schoenberg et Webern, aussi bien que Roussel et Varèse.
Le Quatuor op. 22 de Webern fut créé en France par le Triton le 10 mai 1937, soit six ans après sa création à Vienne. L'économie générale de l'œuvre est illustrée par sa dédicace : « A Adolf Loos, pour son 60e anniversaire ». Loos était un architecte ami de la célèbre trinité viennoise (Schoenberg, Berg et Webern) qui s'était rendu célèbre (dans un cercle restreint) par ses créations aussi peu nombreuses que sobres : pas un ornement sur ses façades, pas un élément qui n'ait sa justification dans un plan d'ensemble rigoureux. Il en va de même dans ce quatuor de Webern, où chaque son – silences compris – est aussi indispensable au tout que les piliers le sont au pont.
La grande originalité de l'œuvre vient de l'alliage inhabituel des timbres : deux instruments « traditionnels » (piano et violon) un transfuge du Jazz (Saxophone ténor) et un instrument « double » puisqu'appartenant aux deux univers à la fois (clarinette). La rigueur sérielle de l'écriture s'inscrit dans une rigueur formelle tout aussi grande ; celle d'un plan en deux mouvements, dont le premier est de forme sonate (sehr mässig très modéré) et le second de forme thème et variations (sehr schwungvoll : plein d'allant).