Varèse, Edgard (« Edgar » pour les Américains) naît à Paris d’une mère française. Mais c’est sans doute dans la relation avec son père, ingénieur italien, que le jeune Varèse construit son rapport radical à l’Histoire : un rapport positif, voire scientiste, animé par un désir d’arrachement au présent. Ingénieur, voilà certes le modèle des sciences que le compositeur ne reniera jamais ; pourtant à vingt ans, en 1903, lorsqu’il quitte l’École Polytechnique de Turin pour regagner Paris, Varèse n’hésite pas à rompre simultanément toute relation avec son ingénieur de père, de même que, plus tard, il brisera radicalement les liens avec la tradition musicale. Du père, si l’on veut, Varèse garde le souvenir des lumières scientifiques et rejette la loi ; de même que, de l’histoire, il garde l’esprit de lumière prophétique et dénonce le poids patrimonial.
Paris retrouvé, il étudie d’abord avec d’Indy à la Schola Cantorum (jusqu’en 1905), alors toute jeune école privée pour « esprits libres » et ne fréquente qu’après la classe de Widor, au Conservatoire (entre 1905 et 1907). Un séjour à Berlin lui permettra de connaître Busoni, lequel lui conseillera de « trouver des formes personnelles en premier lieu ». De retour à Paris, il assiste à la création du Sacre du Printemps de Stravinsky (en 1913) dont l’ostinato puissant l’aura profondément secoué et l’influencera longtemps.
Le 29 décembre 1915, découragé par la « frilosité esthétique de sa terre natale », il émigre aux Etats-Unis et son œuvre Amériques (1918-1921 pour sa première version) bien qu’encore stravinskienne, symbolisera la rupture, cette entrée dans le « Nouveau Monde » esthétique plus encore que géographique, monde surtout de nouvelles opportunités de carrière : depuis 1919, mû par un enthousiasme conquérant, Varèse dirige l’orchestre qu’il a fondé, le New Symphony Orchestra, qui fait connaître à l’Amérique les chefs-d’œuvre modernes; il cofonde la PanAmerican Association of Composers ; il imagine l’International Composers’ Guild qui lui permettra de créer ses propres Offrandes en 1922, Hyperprism en 1923, Octandre en 1924 et Intégrales en 1925. Il se passionne pour les sciences, les univers technologiques, les divers projets de lutherie électronique, alors encore balbutiants.
Entre 1928 et 1933, de retour en France, Varèse fréquente le tout Paris des avant-gardes, donc Cocteau – véritable faiseur de modes « craint » par Stravinsky lui-même – et les amis du poète (Picasso et tant d’autres). Outre cette aura avant-gardiste nouvellement gagnée dans les milieux artistiques de son pays, ce retour lui permet de découvrir et d’intégrer les nouvelles « Ondes Martenot » de conception française à ses Amériques, d’expérimenter le thérémine, autre instrument électronique, dont il prévoit la présence, en deux exemplaires, dans la première version (1932-1934) de son Ecuatorial, avant de leur préférer finalement les ondes Martenot en 1961).
Son retour aux Etats-Unis en 1934 amorce une longue traversée du désert. Le fait qu’il ait pu rencontrer Léon Theremin là-bas (« Lev Sergeïevitch Termen » kidnappé par les siens et réexpédié en U.R.S.S. peu après, en 1938) mais que le Russe ait refusé de développer son instrument comme Varèse le souhaitait, est peut-être emblématique de cette période décevante. Durant seize ans, il écrit peu, s’essaye à plusieurs expérimentations infructueuses (notamment dans le domaine pour lui prometteur de la musique de film) entre des villes de l’Ouest américain – Santa Fe, San Francisco, Los Angeles – et New York qu’il retrouve en 1941.
À partir des années 50 cependant, les progrès en électronique insufflent sans doute de nouveaux espoirs au compositeur et lui inspirent plusieurs réalisations pionnières. Avec Déserts Varèse signe l’une des premières « œuvres mixtes » (orchestre et bande enregistrée), de même qu’il associe, pour l’exposition universelle de Bruxelles, son fameux Poème électronique (1958) aux travaux de Le Corbusier et de Xenakis dans ce qui apparaît comme l’une des premières formes d’« installation ». Avant de s’éteindre en 1965, Varèse reçoit plusieurs distinctions aux Etats-Unis et enseigne à l’académie d’été de Darmstadt : le monde des avant-gardes européennes – Boulez le premier – l’aura donc finalement reconnu comme une figure de précurseur majeur, de son vivant.