Une onde sonore semble traverser la vie de La Monte Young. Dans sa petite enfance, elle est le sifflement du vent furieux de l’Idaho qui attaque les angles de la cabane de bois familiale. Elle est le bourdonnement des insectes qui saturent le ciel mais aussi celui du transformateur électrique qui se répand jusqu’aux maisons. Plus tard, cette onde parcourra l’œuvre entière sous la forme de longues vibrations sonores nimbées des lumières colorées créées par son épouse Marian Zazeela. Elle bercera les nuits et irradiera les jours des amants inséparables, portera leur méditation spirituelle et projettera leurs rêves vers l’infini.
L’apprentissage de la liberté
Young entre véritablement dans le monde musical par le jazz qu’il découvre dès 1950 alors qu’il est élève à la John Marshall High School de Los Angeles, réputée pour sa forte tradition dans ce domaine. Il joue essentiellement dans l’orchestre dixieland du lycée et dans les orchestres de danse. Lorsqu’il découvre les courants be-bop et cool, il s’éloigne du jazz conventionnel des dancings pour se tourner vers des pratiques plus créatives. Durant ses études au Los Angeles City College, il se produit dans différents combos aux côtés de musiciens tels que Terry Jennings — qui restera longtemps un partenaire privilégié —, Eric Dolphy, Don Cherry et Ornette Coleman. Son jeu au saxophone, influencé, entre autres, par Lee Konitz et Warne Marsh, évolue vers une sorte de free jazz. Malgré l’intérêt qu’il porte au jazz, Young s’en éloigne dès 1957 considérant que ce genre évolue dans des formes trop limitées. Il se tourne alors vers la composition de musique savante. L’expérience de l’improvisation dans le jazz se ressentira cependant dans sa musique notamment dans le jeu au saxophone qu’il développera au début des années 1960, et qui se nourrira des expériences modales de John Coltrane et des audaces instrumentales de son album My Favorite Things. Young est également attiré par le blues. Dans la pièce Annod (1953-55) — un blues sur une grille de 12 mesures avec un pont polytonal —, apparaissent déjà des sons tenus qui deviendront une des caractéristiques essentielles de sa musique. Plus tard, à l’été 1961, il accompagnera au piano les improvisations modales jouées au saxophone par Terry Jennings en étirant chaque accord de la grille de blues sur de longues périodes, combinant ainsi ses recherches sur la dilatation du temps avec la libre invention mélodique issue du jazz, comme en témoigne le morceau Young’s Aeolian Blues en si bémol (1961). Young restera toujours fortement attaché au blues. En 1990, il formera The Forever Bad Blues Band (clavier microtonal, guitare, guitare basse et percussions) avec lequel il effectuera une tournée de deux ans en Europe et aux États-Unis pour jouer une version en intonation juste de Young’s Dorian Blues in A avec un environnement de lumières et d’ombres créé par Marian Zazeela.
Les musiques non occidentales joueront également un rôle essentiel dans sa réflexion sur le temps, sur la relation entre composition et improvisation, mais aussi sur les timbres et l’accordage des instruments. Young découvre la musique indienne en 1957 à travers des enregistrements de ragas par Ali Akbar Khan (sarod) et Chatur Lal (tabla). Son inclination quasi naturelle pour les sons tenus et les harmoniques trouve un écho dans le déploiement harmonique sous forme de bourdons du tambura — un instrument qui accompagnera plus tard ses études de chant auprès de Pandit Pran Nath. La rigueur sereine de la musique de gagaku, que joue l’orchestre d’étudiants de Berkeley, tout comme le plain chant et les organa médiévaux, qu’il entend dans un monastère dominicain, auront également une influence majeure sur le développement d’une conception musicale contemplative.
Sérialisme et germination minimaliste
Les premières compositions savantes témoignent de l’influence de Debussy et de Bartók puis, plus fortement, de Schoenberg et de Webern. Young s’intéresse particulièrement aux textures statiques de Farben de l’opus 16 de Schoenberg, mais aussi à celles des œuvres de Webern. Il admire chez ce dernier l’économie de moyens ainsi que l’art de répéter les notes à un même registre. L’influence de Webern apparaît dans les Variations pour alto, harpe et trio à cordes (1955), dont la structure palindromique s’inspire du second mouvement de la Symphonie, Op. 21, et dans sa première œuvre sérielle, les Five Small Pieces for String Quartet (1956), qui contient de longues tenues. Dans l’octuor pour vents for Brass (1957), dans lequel les notes tenues sont considérablement développées, Young manifeste déjà une prédilection pour les intervalles de quarte, de quinte justes et de septième majeure et utilise deux paires de notes (sol#, la et sol, ré) qui préfigurent le « Dream Chord » — un élément fondamental de toute la musique composée par la suite. Mais la pièce majeure de cette période est incontestablement le Trio for Strings (1958) qu’il compose à partir d’expériences faites sur l’orgue du Royce Hall à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA). Le Trio pousse à l’extrême l’économie de moyens wébernienne et s’impose comme la première œuvre du courant minimaliste. Dans cette composition encore d’inspiration sérielle, d’une durée de 58 minutes et d’une amplitude dynamique reposant sur 11 nuances (de pppppp à fff), les très longues tenues (le do# initial dure 4’ 23’’) sont entrecoupées par des silences pouvant atteindre 40 secondes.
En 1959, Young assiste aux cours d’été de Darmstadt. Il s’intéresse aux idées de Stockhausen d’intégration de hauteurs et de temps qu’il préfère à la conception sérielle plus limitée de Milton Babbitt. Il admire Zeitmasze qu’il fera découvrir à Terry Riley à son retour. Les Studies I, II et III, pour piano (1959) sont cependant les dernières pièces sérielles significatives de ce jeune compositeur qui, déjà, commence à se détacher d’un système d’organisation musicale qui ne lui convient plus. À Darmstadt, il fréquente Sylvano Bussotti et Cornelius Cardew, et assiste à un récital de David Tudor qui sera l’un des premiers interprètes de sa musique. Mais l’événement le plus important pour Young est la découverte de la musique et de la pensée de John Cage que Stockhausen aborde alors dans son séminaire, et qui va entraîner chez lui une évolution esthétique et musicale significative.
Modèle cagien et aventure conceptuelle
De retour aux États-Unis, Young fait sienne l’idée cagienne que tout son, quelle qu’en soit la nature, est musical. En résidence avec Terry Riley à l’académie d’été de la chorégraphe Anna Halprin, à Marin County, CA, il explore le son en frottant longuement des objets sur toutes sortes de surfaces, notamment celle d’un gong, quatre ans avant Mikrophonie I (1964) de Stockhausen. Il réalise Poem for Chairs, Tables, Benches, etc. (1960) quiconsiste à produire des sons en poussant ou en traînant des meubles sur le sol, ainsi que 2 Sounds (1960), pour sons frottés enregistrés. Dans les pièces composées à cette époque, l’importance accordée au silence — notamment dans Visions (1959) pour 12 instruments jouant des sons non conventionnels — et l’utilisation de nombres aléatoires pour déterminer le début et la fin des sons témoignent aussi de l’influence de Cage.
À l’automne 1960, Young se rend à New York pour étudier la musique électronique avec Richard Maxfield à la New School of Social Research, grâce à l’obtention d’une bourse (Alfred Hertz Memorial Travelling Scholarship). ll fréquente alors les membres de l’avant-garde : les artistes George Brecht et Larry Poons, le compositeur et pianiste Toshi Ichiyanagi, le poète Jackson Mac Low et le graphiste et impresario George Maciunas, chef de file du mouvement Fluxus naissant. Yoko Ono lui confie l’organisation d’une série de « concerts-performance » dans son loft de Chamber Street. Young y programme sa pièce Arabic Numeral (Any Integer) to H.F. (1960), dédiée au philosophe musicien et activiste anti-art Henry Flynt, dans laquelle un pianiste répète un grand nombre de fois un cluster joué avec l’avant bras. Avec Death Chant (1961), pour voix d’homme, carillon ou grandes cloches — une pièce faite de courtes cellules mélodiques en mode mineur répétées ad libitumauxquelles des notes sont progressivement ajoutées et retirées —, Arabic Numeral est la seule œuvre répétitive de Young à cette époque. Elle précède In C (1964) de Riley, qui, avec ses 53 fragments mélodiques répétésad libitum par les musiciens, s’est imposée comme l’oeuvre emblématique du minimaliste répétitif.
Young présente aussi ses 15 Compositions 1960 qui témoignent de son intérêt pour l’art conceptuel. Ces pièces figurent dans An Anthology of Chance Operations, un ouvrage collectif néodadaïste édité en 1963 par La Monte Young et Jackson Mac Low, qui rassemble des œuvres musicales expérimentales mais aussi de la poésie, des essais, de l’anti art et des pièces de performances provenant de 25 artistes américains, européens et japonais. Certaines de ces Compositions remettent en question les codes traditionnels du concert avec l’humour et l’esprit iconoclastes de Fluxus. Dans Piano Piece for David Tudor n° 3, l’interprète doit apporter sur scène une balle de foin et un seau d’eau pour nourrir le piano. Dans Composition 1960 n° 6, la relation entre les interprètes et le public est inversée, les interprètes sur scène se contentant de regarder ce qui se passe dans la salle. La Composition 1960 n° 5, dans laquelle il est demandé à l’interprète de faire voler dans l’espace scénique un ou plusieurs papillons afin d’écouter l’inaudible, est proche de la pensée zen adoptée par Cage. D’autres pièces prolongent les réflexions de Young sur la durée du son et, bien au-delà sur le temps. La partition de Composition 1960 n° 10 se résume à une simple consigne : « tirer un trait droit et le suivre ». Elle peut consister en une note ou un accord longuement tenu, mais elle peut tout aussi bien être interprétée comme la projection de sa propre existence vers l’avenir, ou encore comme une métaphore de l’éternité. La Composition 1960 n° 7 (qui se limite à la quinte juste si-fa# écrite sur une portée accompagnée de l’indication « doit être tenu longtemps ») est, avec Death Chant, la seule partition entièrement écrite de cette période. Il faudra attendre le quatuor à cordes Chronos Kristalla, en 1990, pour que Young revienne à la notation musicale. Young prône aussi un mélange des disciplines et manifeste une inclination pour la poésie, en partie sous l’influence de sa compagne d’alors, la poétesse Diane Wakoski, avec laquelle il réalise des lectures simultanées de poèmes.
The Theatre of Eternel Music
Au printemps 1962, Young adopte le saxophone sopranino — un instrument popularisé un an auparavant par John Coltrane — qu’il utilise pour développer un jeu virtuose à partir de la répétition très rapide de séquences modales. Pour accompagner le sopranino, dont la sonorité est proche du shenai de la musique indienne, Young utilise des bourdons (drones) qu’il confie à un petit groupe d’interprètes acquis à sa musique. Ce groupe est constitué, entre autres, du poète et compositeur de film underground Angus MacLise (percussions), de Tony Conrad (violon), de l’artiste peintre calligraphe et « light designer » Marian Zazeela (voix) (qu’il épousera l’année suivante), de John Cale (alto) et même de Terry Riley (pour 8 mois en 1965). En août 1963, Young s’installe avec Zazeela dans un loft sur Bank Street dont il fait un lieu de répétitions et de concerts privés pour son ensemble qui prendra, en février 1965, le nom de The Theatre of Eternal Music. L’idée initiale de Young est celle d’une communauté jouant de la musique 24 heures sur 24. Mais cette utopie de l’éternelle musique ne résistera pas aux contraintes matérielles et financières. Le groupe se dispersera assez rapidement, mais renaîtra sous différentes formes et appellations au cours des années suivantes. Young compose à cette époque The Four Dreams of China qui repose sur un matériau harmonique de base qui nourrira ses futures compositions et improvisations. Ce matériau consiste en un ensemble de quatre notes (do, fa, fa#, sol) qui génèrent quatre accords transposables appelés « Dream Chords » présentant les notes fa et do# dans divers renversements et positions registrales de part et d’autre de l’axe sol3 et la3. Probablement dès 1962, et ceci jusqu’au début de 1964, Young réalise avec son ensemble une composition-improvisation sur une partie de The Four Dreams qui prendra le nom de The Second Dream of High-Tension Line Stepdown Transformer from The Four Dreams of China, en référence aux sons produits par le transformateur de lignes à haute tension de son enfance. Dans cette pièce « pour n’importe quels instruments pouvant tenir des groupes de quatre notes en intonation juste », la durée d’exécution n’est pas fixée — une caractéristique commune avec les œuvres conceptuelles antérieures. Comme ce sera encore le cas pour les œuvres qui suivront, la place importante accordée à l’improvisation fait de chaque interprétation une oeuvre unique. À la version « harmonique » deTheSecondDream succédera, en 1990, une version « mélodique » pour 8 trompettes, seule version de l’œuvre qui ait donné lieu à un enregistrement commercial. Les « Dream Chords » généreront aussi The Subsequent Dreams of China en 1980, et Orchestral Dreams en 1985.
Dans les entrailles du son
Grâce aux bourdons longuement tenus produits par les cordes et les voix, Young développe considérablement sa sensibilité auditive et peut pénétrer « dans les entrailles du son », aidé en cela par la consommation de drogues. Cette plongée dans le monde vibratoire, dont la richesse sera mise en valeur plus tard par l’amplification des drones à un volume sonore extrêmement élevé (parfois à la limite de ce qui peut être physiologiquement supportable), convainc Young d’adopter l’intonation juste, c’est-à-dire un système de division de l’octave non tempéré dans lequel les intervalles consonants (octaves, quintes, tierces…) sont considérés comme « purs » car reposant sur des fractions simples. Déjà dans le Trio for Strings (qu’il réécrira en intonation juste en 1984), il avait intuitivement rejeté l’usage de la tierce majeure, trop éloignée, dans le système tempéré, de l’acoustique naturelle. Cette sensibilité auditive pythagoricienne conduira Young à entreprendre, en 1966, la rédaction d’un ouvrage théorique sur l’intonation juste intitulé : The Two**Systems of Eleven Categories, qui reste à ce jour inédit et inachevé, et à envisager les sons non plus comme des relations de hauteurs mais comme des rapports de fréquence. Ainsi, le « Dream Chord » (do,fa,fa#,sol) va devenir 24:32:35:36, simplifié ensuite en 12:16:17:18. À l’été 1964, afin de faciliter ses interprétations en intonation juste, Young abandonne le saxophone pour la voix dont il peut moduler les hauteurs et contrôler les harmoniques beaucoup plus précisément en utilisant un style nasal inspiré des techniques de chant de la musique indienne.
En 1964, Young commence la composition deux œuvres majeures (à ce jour encore en chantier) qui vont fournir matière à un grand nombre de versions : The Tortoise, His Dreams and Journeys et The Well-Tuned Piano. Comme pour The Four Dreams, ces compositions évolutives monumentales — leur durée peut s’étendre sur plusieurs heures — n’ont eu d’existence que lors des réalisations live dont les rares enregistrements commerciaux peuvent témoigner.
Pour réaliser le drone de The Tortoise, Young va utiliser une fréquence grave de référence en amplifiant le bourdonnement produit par le moteur de son aquarium à tortues ouvrant ainsi la voie de manière très pragmatique à de futurs et nombreux emplois de drones produits électriquement au cours des concerts et performances. Aux premières ébauches improvisées de l’œuvre, qui prennent le nom de Pre-Tortoise Dream Music, succède une première série de versions plus abouties qui sera donnée à l’automne 1964 au Pocket Theatre de New York. D’autres versions exploitant le matériau harmonique initial seront données à différentes occasions. La longueur de plus en plus importante de leurs titres (qui bien qu’intégrant des références autobiographiques restent souvent très énigmatiques) correspond au développement de plus en plus long de sections préexistantes ou à l’ajout de plus en plus nombreux de nouvelles sections. Ainsi les 12 et 13 décembre 1964, Young et The Theatre of Eternal Music donnent une version appelée The Tortoise Recalling the Drone of the Holy Numbers as They Were Revealed in the Dreams of the Whirlwind and the Obsidian Gong and Illuminated by the Sawmill, the Green Sawtooth Ocelot and the High-Tension Line Stepdown Transformer.
De par sa durée considérablement étendue (la version jouée à la Mela Foundation de New York en 1987 dure 6 heures et 24 minutes), sa forme potentiellement extensible à l’infini et son utilisation de l’intonation juste qui, selon le compositeur, fait du piano « une glorification de la lyre d’Orphée et de la harpe de David », The Well-Tuned Piano marque une évolution importante dans la tradition de l’instrument. Cette sorte d’œuvre ouverte développe un matériau de base restreint constitué d’accords et de formules mélodiques élémentaires auxquels s’ajouteront, au fil des ans, des références à des œuvres du passé donnant parfois à la musique un parfum postmoderne. Ce n’est que 10 ans après la première version jouée et enregistrée en privé que Young donnera l’œuvre en concert, à Rome, le 4 juin 1974. Comme pour la soixantaine d’exécutions qui suivront, les sonorités du piano sont plongées dans un environnement de lumières créé par Zazeela, ce qu’indique d’ailleurs le titre complet de l’œuvre : The Well-Tuned Piano in The Magenta Lights. Pour La Monte Young, jouer The Well-Tuned Piano est un engagement total qui s’inscrit dans une discipline de vie permettant d’atteindre un niveau supérieur de méditation pour pouvoir sortir de son corps et être dans l’esprit divin. La pratique intense du raga indien, à partir des années 1970, a joué un rôle essentiel dans l’évolution de cette œuvre qui, comme les autres compositions/improvisations de Young, n’est autre qu’une mise en vibration lumineuse de sa spiritualité.
L’intérêt déjà ancien de Young pour la musique et la spiritualité indiennes est renforcé, dès 1967, par la découverte de l’art du chant indien de Pandit Pran Nath grâce à des enregistrements que lui fait entendre Shyam Bhatnagar, un disciple du maître. En janvier 1970, Young et Zazeela aideront Pandit Pran Nath à entrer aux États-Unis. Cette rencontre modifiera profondément leur mode de vie. Ils étudieront intensément la musique indienne avec leur gourou qu’ils serviront avec une totale dévotion jusqu’à sa mort en 1996. Ils enseigneront le style indien kirana et feront des centaines de concerts avec Pandit Pran Nath en Inde, en Iran, en Europe et aux États-Unis, puis continueront à se produire avec leur groupe The Just Alap Raga Ensemble.
En juillet 1969, à la galerie Heiner Friedrich de Munich, le couple réalise sa première Dream House publique où Young et ses musiciens jouent Map of 49’s Dream The Two Systems of Eleven Sets of Galactic Intervals Ornamental Lightyears Tracery tiré de The Tortoise. Le concept de Dream House, qui est un espace architectural pouvant recevoir, pendant de très longues périodes, un environnement de sons et de lumières, va être repris, sous différentes formes, les années suivantes en Europe et aux États-unis. En 1979, grâce au soutien financier de la Dia Art Foundation, une Dream House permanente est installée dans l’ancienne Bourse du commerce sur Harrison Street à New York. Elle sera interrompue en 1985 pour des raisons économiques. Une Dream House d’une année (1989-90), dans laquelle Young et The Theatre of Eternal Music Big Bang jouent The Lower Map of The Eleven’s Division in The Romantic Symmetry (over a 60 cycle base) in Prime Time from 144 to 112 with 119, est également installée à New York, 22nd Street. D’autres Dream Houses sont installées, entre autres, à la Fondation Maeght (1970), à Rome, à la Dokumenta 5, à Munich lors des Jeux olympiques (1972), à Paris à l’espace Donguy (1990) et au Centre Georges Pompidou (1994-95 et 2004-05), à Lyon, au Musée d’Art Contemporain (1999), au Guggenheim Museum (2009) de New York. La plus ambitieuse est la Dream House: Seven Years of Sound and Light ouverte en 1993 à la Mela Foundation de New York.
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Les conditions draconiennes imposées par Young et Zazeela pour la réalisation de leurs projets artistiques communs ont contribué à leur mise en retrait partielle de la scène musicale contemporaine. Le mode de vie du couple, qui entretient une relation quasi fusionnelle tant dans la vie privée que dans les activités artistiques, est aussi une raison de leur marginalisation artistique. Young et Zazeela ont en effet conçu leur existence dans des cycles de 27 heures qui, suivant les jours, placent les plages de sommeil aussi bien en journée que la nuit. De plus, leur œuvre reste difficilement accessible en raison de la rareté des enregistrements commerciaux, de la grande difficulté pour les chercheurs à accéder à leurs archives contenant pourtant une quantité énorme de documents sonores, vidéo ou écrits.
La Monte Young aura joué un rôle important dans l’histoire de la musique de la seconde partie du vingtième siècle en ouvrant les portes du minimalisme, en contribuant à combler le fossé entre composition et improvisation et en opérant une fusion entre Orient et Occident. Il aura aussi influencé de nombreux artistes et musiciens : son ami Terry Riley, en premier lieu, mais aussi les compagnons de route des différentes formations de The Theatre of Eternal Music comme John Cale, ou encore de nombreux compositeurs aussi différents que Brian Eno, Lou Reed, Glenn Branca, Kyle Gann ou Karlheinz Stockhausen. Si aujourd’hui les musiciens de la sphère savante semblent moins intéressés par ce compositeur atypique, il n’en est pas de même pour de nombreux artistes qui se reconnaissent dans une mouvance plus large allant de l’improvisation aux musiques électroniques et dont le magasine britannique The Wire rend compte depuis plus de trente ans de l’extraordinaire diversité. La Monte Young représente indéniablement pour cette avant-garde un modèle d’intégrité et d’indépendance artistique autant qu’une source d’inspiration musicale encore abondante.