NĂ© le 23 avril 1891 Ă  Sontsovka, dans un village de la rĂ©gion de Donetsk (actuellement en Ukraine), le compositeur russe Serge (SergueĂŻ SergueĂŻvitch) Prokofiev connaĂ®t une enfance aisĂ©e et choyĂ©e. Fils unique d’un agronome, il commence l’apprentissage de la musique avec sa mère, pianiste amateur, et compose ses premières pièces pour piano entre 1896 et 1901, ainsi que quelques scènes lyriques. Il prend ensuite des cours privĂ©s de thĂ©orie et d’harmonie avec Reinhold Glière. Admis au Conservatoire de Saint-PĂ©tersbourg en 1904, il est l’élève d’Alexander Winkler et Anna Essipova (piano), d’Anatoli Liadov (harmonie et contrepoint), de Yasep Vitol (composition), de NikolaĂŻ Rimski-Korsakov (orchestration) et d’Alexandre Tcherepnine (direction d’orchestre). Mais il dira s’être formĂ© surtout en lisant des partitions et en assistant aux SoirĂ©es de musique contemporaine placĂ©es sous la fĂ©rule d’Alfred Nourok, Walter Nouvel et Viatcheslav Karatyguine : il y entend des Ĺ“uvres de Reger, d’Indy, Debussy et Richard Strauss. Ces soirĂ©es lui permettent de se produire dans ses propres pièces pour piano. L’énergie de son jeu percussif et l’âpretĂ© de son langage captivent les auditeurs progressistes, rebutent les conservateurs. Il est aussi l’interprète de ses contemporains, parmi lesquels Arnold Schoenberg, et rencontre notamment Maxime Gorki et Vladimir MaĂŻakovski.

En rĂ©compense de son diplĂ´me obtenu en 1914 (il dĂ©croche son prix de piano en interprĂ©tant son Concerto n° 1), sa mère lui offre un voyage Ă  Londres, oĂą il dĂ©couvre Daphnis et ChloĂ©, L’Oiseau de feu, Petrouchka et Le Sacre du printemps. Walter Nouvel le prĂ©sente Ă  Diaghilev qui lui commande le ballet Ala et Lolly, dont le matĂ©riau sera repris dans la Suite scythe après l’abandon du projet. Lors de la RĂ©volution de 1917, Prokofiev juge la situation politique peu favorable au dĂ©veloppement de sa carrière et dĂ©cide de tenter sa chance aux États-Unis, oĂą il se rend via le Japon. Dans les premiers temps, il dĂ©route le public new-yorkais, tandis que Chicago accueille favorablement son Concerto pour piano n° 1 et la Suite scythe. C’est Ă©galement Ă  Chicago que sont crĂ©Ă©s le Concerto pour piano n° 3 et l’opĂ©ra L’Amour des trois oranges. Sa pĂ©riode amĂ©ricaine (1918-1922) est entrecoupĂ©e d’un sĂ©jour Ă  Paris, oĂą les Ballets russes de Diaghilev crĂ©ent Chout en 1921. Après un intermède Ă  Ettal en Bavière, lieu de son mariage avec la chanteuse Lina Llubera (pseudonyme de Carolina Codina), il dĂ©cide de s’installer en France Ă  la fin de l’annĂ©e 1923 – il effectue Ă©galement des tournĂ©es Ă  Cuba et au Canada. Ă€ Paris, il attire l’attention par sa virtuositĂ© pianistique et la singularitĂ© de ses compositions. Il y crĂ©e, entre autres, le Concerto pour violon n° 1, la Sonate pour piano n° 5, le Concerto pour piano n° 2, les Symphonies nos 2 et 3, les ballets Le Pas d’acier et Le Fils prodigue. Mais certaines de ses partitions, comme la Symphonie n° 3, n’obtiennent pas le succès escomptĂ©. En outre, aucun théâtre n’accepte de monter son opĂ©ra L’Ange de feu.

Dès lors, Prokofiev regarde vers son pays natal dont il s’était absenté, mais pas exilé. En 1927, il effectue une première tournée en URSS, où chacun de ses récitals lui vaut un triomphe. Enthousiasmé par le dynamisme du nouvel État et par la place de premier plan qu’il accorde à la culture, il y retourne en 1929 et 1932, accepte de composer sa première musique de film pour Le Lieutenant Kijé et reçoit la commande de Roméo et Juliette pour le Théâtre du Bolchoï à Moscou (le ballet sera finalement créé à Brno). En mai 1936, il s’installe avec sa famille à Moscou pour vivre en Union soviétique. Comme les autres artistes importants, il est évacué en août 1941 (il regagne Moscou en octobre 1943). Le conflit motive la composition de l’opéra Guerre et Paix, qui ne sera pas créé de son vivant dans sa version définitive. Si ses partitions ne sont pas toutes destinées à célébrer le régime, il souscrit toutefois à ce qu’on attend d’un musicien soviétique en composant des œuvres éducatives (Pierre et le loup), des marches (les opus 69, 88, 99), des cantates et opéras patriotiques (Cantate pour le vingtième anniversaire d’OctobreZdravitsa, Sémion Kotko, L’Histoire d’un homme véritable, etc.).

Entre 1936 et 1938, il avait bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une certaine libertĂ© et avait pu encore se rendre Ă  l’étranger. Mais après sa tournĂ©e Ă  l’Ouest en 1938, l’annĂ©e oĂą il compose, pour SergueĂŻ Eisenstein, la musique du film Alexandre Nevski, bientĂ´t suivie de celle d’ Ivan le terrible, les autoritĂ©s prĂ©textent des formalitĂ©s administratives et lui demandent son passeport. Le document ne lui est jamais rendu, ce qui interdit tout dĂ©placement hors de l’URSS. NommĂ© en 1947 « Artiste du peuple Â», l’étau se resserre quand, au dĂ©but de l’annĂ©e 1948, la campagne anti-formaliste dirigĂ©e par Tikhon Khrennikov (mais pilotĂ©e par AndreĂŻ Jdanov) amorce son effet destructeur. StigmatisĂ© par le dĂ©cret publiĂ© par le ComitĂ© central le 10 fĂ©vrier 1948, Prokofiev doit faire son autocritique. Plusieurs de ses partitions sont interdites, l’ensemble de sa musique fait l’objet de violentes attaques. Le 20 fĂ©vrier, sa femme Lina (dont il s’était sĂ©parĂ© en 1941 pour vivre avec Mira Mendelssohn) est arrĂŞtĂ©e, accusĂ©e d’espionnage et envoyĂ©e en camp de travail (elle en sortira en 1956). Ă€ partir de ce moment, Prokofiev compose moins, Ă©galement en raison de problèmes de santĂ© de plus en plus importants. Le 5 mars 1953, Ă  Nikolina Gora, près de Moscou, il meurt d’une congestion cĂ©rĂ©brale, une heure avant Staline – la Pravda annonce sa mort avec six jours de retard. En 1957, l’annĂ©e de crĂ©ation de Guerre et Paix, le Prix LĂ©nine lui est remis Ă  titre posthume.

© Ircam-Centre Pompidou, 2018


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