Composé à Lausanne, Clarens, Beaulieu et finalement à Rome de août 1910 au 26 mai 1911 ; dédié à Alexandre Benois ; création : 13 juin 1911, Paris, Ballets Russes, chorégraphie Fokine, décors et costumes Alexandre Benois, Nijinsky dans le rôle de Petrouchka, Karsavina dans celui de la Ballerine, direction Pierre Monteux ; transcription pour piano en 1921.
« Avant d'aborder le Sacre du Printemps, dont la réalisation se présentait longue et difficile, je voulus me divertir à une œuvre orchestrale où le piano jouait un rôle prépondérant, une sorte de Konzertstück. En composant cette musique, j'avais nettement la vision d'un pantin subitement déchaîné qui, par ses cascades d'arpèges diaboliques, exaspère la patience de l'orchestre, lequel, à son tour lui réplique par des fanfares menaçantes. Il s'ensuit une terrible bagarre qui, arrivée à son paroxysme, se termine par l'affaissement douloureux et plaintif du pauvre pantin. Ce morceau bizarre achevé, je cherchai pendant des heures, en me promenant au bord du Léman, le titre qui exprimerait en un seul mot le caractère de ma musique et, conséquemment, la figure de mon personnage.
Un jour, je sursautai de joie.
Petrouchka ! l'éternel et le malheureux héros de toutes les foires, de tous les pays ! C'était bien ça, j'avais trouvé mon titre ! Bientôt après, Diaghilev vint me voir à Clarens où j'habitais alors. Il fut très étonné quand, au lieu des esquisses pour le Sacre auxquelles il s'attendait, je lui jouai le morceau que je venais de composer et qui devint ensuite le second tableau de Petrouchka. Le morceau lui plut à tel point qu'il ne voulut plus le lâcher et se mit à me persuader de développer le thème des souffrances du pantin et d'en faire tout un spectacle chorégraphique. Pendant son séjour en Suisse, nous élaborâmes en lignes générales le sujet et l'intrigue de la pièce en suivant les idées que je lui suggérais. Ainsi nous arrivâmes à établir le lieu de l'action, la foire avec sa foule, ses baraques, son petit théâtre traditionnel, le personnage du prestidigitateur avec ses tours de passepasse, l'animation de ses poupées ; Petrouchka, son rival et la ballerine, ainsi que le drame passionnel qui mène à la mort de Petrouchka... » (I.S.).
Première grande œuvre de Stravinsky composée hors de Russie, Petrouchka est aujourd'hui plus souvent donné en version de concert que représenté chorégraphiquement. Il est impossible néanmoins de séparer la musique de l'argument.
Premier tableau : La grande fête populaire de la Semaine grasse à Saint-Pétersbourg vers 1830. Un petit théâtre de marionnettes ; le charlatan anime les trois poupées : Petrouchka, la ballerine et le Maure.
Deuxième tableau : Dans la chambre de Petrouchka. Le charlatan a donné à ses marionnettes des sentiments humains. Petrouchka est désespéré par son aspect hideux incompatible avec son amour pour la ballerine ; il tente de se suicider.
Troisième tableau : Dans la chambre du Maure. Scène d'amour entre le maure et la ballerine, interrompue par l'arrivée soudaine de Petrouchka qui est jaloux. Le maure le met dehors.
Quatrième tableau : Le soir, la fête populaire continue. Petrouchka est poursuivi par le Maure qui le tue. Petrouchka meurt au milieu de la foule. La ballerine et le Maure ont disparu. Le charlatan rassure la foule et rappelle que ce n'était qu'un pantin. La foule se disperse et le fantôme de Petrouchka apparaît.
On ne peut nier l'importance du support dans la composition de cette musique. Une preuve suffisante est la présence, en préface à la partition, d'un synopsis de l'argument.
Plutôt que d'émettre des commentaires sur un chef-d'œuvre incontesté, laissons la parole à Debussy qui, à propos de l'Oiseau de Feu avait été simplement encourageant : « il fallait bien commencer par quelque chose ». Après Petrouchka, l'ironie a disparu et il écrit à Stravinsky : « ... Je ne connais pas beaucoup de choses qui vaillent ce que vous appelez le tour de passepasse... il y a là-dedans une sorte de magie sonore, de transformation mystérieuse d'âmes mécaniques qui deviennent humaines par un sortilège dont jusqu'ici vous me paraissez l'inventeur unique. Enfin il y a des sûretés orchestrales que je n'ai rencontrées que dans Parsifal vous comprendrez ce que je veux dire, j'en suis sûr ! Vous irez plus loin que Petrouchka, c'est certain, mais vous pouvez déjà être fier de ce que cette œuvre représente. » (13 avril 1912).