Franco Donatoni (1927-2000)

Souvenir (1967)

Kammersymphonie opus 18, pour quinze instruments

  • Informations générales
    • Date de composition : 1967
    • Durée : 15 mn
    • Éditeur : Suvini Zerboni, Milan, nº 6689
    • Opus : 18
    • Dédicace : au critique musical Fedele d'Amico
Effectif détaillé
  • flûte, hautbois, 2 clarinettes, basson, cor, trompette, trombone, percussionniste, harpe, piano, clavecin, violon, violon II, alto, violoncelle

Information sur la création

  • Date : 12 septembre 1967
    Lieu :

    Italie, Venise, Festival


    Interprètes :

    l'ensemble Musica Viva Pragensis, direction : Zbynek Vostrak.

Note de programme

Souvenir de Franco Donatoni, œuvre composée à Milan en 1967, est révélatrice du tournant que prend à cette époque la production du compositeur qui après avoir dès le début de la décennie rompu avec les influences de ses « premières années d'artisanat musical », est en train de renoncer à composer la matière même de sa musique, préférant utiliser et transformer des matériaux provenant d'œuvres antérieures ou d'autres compositeurs. Ce processus sera dès lors la marque de son travail, même si l'on peut le rapprocher d'œuvres de la même époque comme la Sinfonia de Berio (1968) d'après la Seconde Symphonie de Gustav Mahler ou encore du Ludwig Van de Mauricio Kagel (1969).

Par son sous-titre de Kammersymphonie, par son effectif de quinze instruments (même si la nomenclature en est différente) et (avec une pointe d'ironie ?) par le fait que cette pièce est la seule de toute sa production à porter un numéro d'opus, Souvenir fait évidemment référence à la Symphonie de chambre opus 9 d'Arnold Schoenberg. Le clin d'œil est confirmé par l'inattendu accord final de mi majeur que préparait déjà le titre de son œuvre précédente, Etwas ruhiger im Ausdruck de la même année 1967, d'après une indication tirée d'une autre œuvre de Schoenberg, la deuxième des Cinq Pièces pour piano, opus 23 (1920-1923).

Mais Souvenir est en fait fondée sur 363 cellules extraites des Gruppen pour trois orchestres de Karlheinz Stockhausen (1955-1957,) dont Donatoni dit que « ...c'était la musique nouvelle telle qu'elle devait être à l'époque, telle que je la cherchais en travaillant, sans parvenir à la découvrir ». Ces courtes séquences ont été ensuite enchaînées, répétées, renversées, distribuées, transposées en un jeu complexe de permutations qui en fait évidemment tout autre chose qu'une simple citation, mais plutôt, pour reprendre les termes de Pierre Boulez parlant des textes de René Char dans Le Marteau sans maître, un « centre absent ».Il est évident dès lors que Souvenir ne peut plus être considérée comme une « œuvre » au sens traditionnel du terme, mais Donatoni ne dit-il pas que «. ..seule la non-œuvre réussit à toucher, parce qu'elle est subjective, meurt dès sa naissance, et n'en est que plus précieuse dans sa fuite. »

Ce travail très particulier amène par ailleurs des retours périodiques de certaines cellules qui en prendront presque un caractère thématique, en contradiction semble-t-il avec les origines sérielles du matériau. On trouve même, à certains moments, par récurrence, des jeux de miroirs, à l'image de ceux que l'on trouve souvent chez Webern (par exemple dans le second mouvement de la Symphonie, opus 21 de 1928) ou chez Bernd Alois Zimmermann (cantate Omnia tempus habent).

L'ensemble, qui fait appel aux quatre grandes familles instrumentales, ne les mêle pas volontiers, chaque instrument étant le plus souvent solidaire de son groupe. Cela donne une sorte de contrepoint de masses plutôt que d'invidualités, dans une ambiance générale positive et volontaire, délaissant toute tentation expressive au profit d'un pur jeu sonore, généralement acide et tranchant, marqué par le caquetage nerveux des bois, les rugissements occasionnels des cuivres, les éclats soudains des claviers et de la harpe, et le sourd martèlement des cordes. Cette fébrilité instrumentale est par endroits compensée par des sections moins denses, voire de brefs arrêts.

L'accent mis sur le phénomène sonore en temps que tel, plutôt que sur des intentions expressives, trouve également une illustration flagrante dans le fait qu'un tempo (« le plus vif possible ») et une mesure (4/4, la plus « évidente ») sont d'emblée définis, et que pas un seul instant ces choix initiaux ne seront remplacés, sans même que la moindre inflexion ne vienne les assouplir.

Jacques-Marie Lonchampt.