La Première Sonate de Pierre Boulez, composée et créée en 1946, représente la première œuvre importante pour piano du compositeur. Elle est néanmoins précédée par les Trois Psalmodies, plus tard désavouées, et les Notations, retravaillées pour orchestre en 1980 à l'intention de l'Orchestre de Paris. Ces deux œuvres ont également été créées par Yvette Grimaud, qui sera encore la première à défendre la Deuxième Sonate en 1950.
La distance considérable qui sépare la Première Sonate de ses devancières s'explique au moins en partie par la découverte par Boulez de la musique de Schoenberg et de Webern, auprès de René Leibowitz. Et si la Sonatine pour flûte et piano, contemporaine, explore la forme en un mouvement de la Symphonie de chambre opus 9 de Schoenberg, la Sonate, quant à elle, se réfère explicitement aux Trois pièces pour piano, opus 11, et particulièrement à la troisième, où Schoenberg poussait, dès 1909, l'atonalisme et l'athématisme à leurs plus extrêmes conséquences.
Mais déjà, chez Boulez, on assiste à un déplacement du problème sériel : la pure répartition d'intervalles du dodécaphonisme « classique » cède progressivement la place à un travail sur des cellules mélodico-rythmiques, certainement inspiré de Webern dont il connaît alors au moins la Symphonie opus 21, et qui mènera au sérialisme intégral du début des années 50. La Sonate et la Sonatine se rejoignent en outre par la densité et l'angulosité de leur écriture, donnant naissance à une expression d'un lyrisme véhément, caractéristique du jeune Boulez.
La Première Sonate est en deux mouvements. S'ils conservent une certaine dualité compositionnelle, il ne s'agit évidemment plus ici de dualité thématique et encore moins harmonique, comme c'était le cas dans la définition « classique » de la sonate, mais bien plutôt de la confrontation entre divers types d'écritures, s'opposant par le tempo, l'intensité, le phrasé, et se regroupant en des sections contrastantes.
Le premier mouvement, « lent », débute par la présentation de quatre éléments très simples : intervalle (en l'occurrence, sixte), note appoggiaturée, son isolé et trait incisif, s'opposant aux trois autres par son agressivité, qui contraste avec la douceur de l'ensemble. Ces éléments vont alors se combiner en un développement généralement calme, parfois troué par le trait rageur, qui va clore cette section en un sursaut encore plus véhément. Le trait incisif va dominer la seconde partie, plus nerveuse, alternant avec des passages staccato. Un retour des éléments initiaux indique la réexposition, variée et écourtée mais nettement identifiable, suivie d'une coda sur ces mêmes éléments, allant finalement s'« empiler » en un large agrégat, suivi de façon inattendue d'un ultime retour, pianissimo et comme moqueur du trait.
Le second mouvement débute par un jeu de « ping-pong » staccato entre les divers registres, proche des Variations opus 27 de Webern. On va ensuite assister à une longue lutte entre une sorte de toccata, explorant nerveusement en un mouvement vif et régulier l'ensemble du clavier, et des passages plus liés et noyés de pédale, sortes de « mobiles » harmoniques allant de la douceur à une expression plus intense. La conclusion du mouvement, découpée dans un premier temps par des silences, rares jusqu'ici, va in extremis céder la place à un dernier retour de la toccata.
Jacques-Marie Lonchampt.