Longtemps restée à l'état de « fond de tiroir », retirée du catalogue, la partition des Douze Notations pour piano fut tirée de l'oubli pour servir de matière à une adaptation pour grand orchestre (dont seules les quatre premières ont été présentées depuis leur création en 1980).
Sous sa forme originale, pour piano, elle se présente comme un cycle de variations sans thème, mieux : dont le thème se réduirait à la structure des intervalles consécutifs d'une série dodécaphonique. Le titre invite à se figurer une musique écrite, ou plus précisément notée autant pour l'œil que pour l'oreille : chacune des douze pièces compte douze mesures, présentant divers aspects d'une même série de douze sons. Celle-ci est traitée en permutation circulaire (première pièce commençant par la note initiale, deuxième pièce commençant par la deuxième note pour reporter la première après la douzième...) : de sorte que, au moyen d'une figure rythmique appropriée, chaque intervalle initial va contribuer à caractériser les premières mesures de chaque Notation.
Cette apparente rigidité de conception est cependant nuancée par un maniement assez souple du matériau dodécaphonique : l'auteur ne renonce pas à la répétition de certaines valeurs non moins qu'il ne subordonne souvent la polyphonie au rythme, de même que la répartition verticale des registres est amenée à jouer un rôle capital dans la différenciation des figures. On relèvera la tendance à faire alterner les pièces à caractère méditatif, intériorisé, à celles où une certaine exubérance rythmico-métrique se donne libre cours : trait que Boulez développera ultérieurement dans des œuvres de plus grande envergure.
Ce sont probablement des considérations autant techniques que stylistiques qui auront amené jadis Boulez à décider de les retirer momentanément de son catalogue. Influences trop immédiatement perceptibles (Pièces pour piano, opus 11 de Arnold Schoenberg, Mana de Jolivet), canons à l'octave, mélodies accompagnées : autant de survivances et de contradictions qu'il allait se donner pour tâche de surmonter dans ses compositions suivantes.Il devait pourtant garder une certaine affection pour ces pièces brèves, car on en retrouve la trace dans des œuvres plus tardives : une première orchestration en 1946, une musique de scène pour une pièce radiophonique en 1957, et surtout les interludes instrumentaux de la Première Improvisation sur Mallarmé, où les Notations 5 et 9 forment le commentaire du « transparent glacier des vols qui n'ont pas fui ».
Plus récemment, en 1985, conscient de la maîtrise désormais acquise, il s'est penché une nouvelle fois sur ce souvenir de jeunesse, en tenant précisément compte des ambiguïtés stylistiques et techniques que son évolution antérieures l'avait amené à dissoudre.
Robert Piencikowski, avec l'accord de l'Associazione musicale Umberto Micheli.