Henri Dutilleux est un classique par son goût de l'architecture musicale, sons sens de la proportion et la clarté de son langage. « S'il fallait le rattacher au passé — dont Henri Dutilleux sort effectivement car ce n'est pas un révolutionnaire — on pourrait dire que du point de vue harmonique il se situe dans la descendance de Fauré et de Ravel tout à la fois, mais sans qu'il y ait une véritable influence de l'un ou le l'autre ; ce n'est qu'attitude harmonique fauréenne ou ravelienne, ou plutôt attitude devant le problème harmonique ; car son langage est dès le début très personnel, et révèle une sorte d'instinct atonal non organisé.
Claude Rostand.
Sa Sonate est en trois mouvements.
Le premier, Allegro con moto, est conçu selon le plan classique d'un premier mouvement de sonate. D'un premier thème — une ample et belle mélodie en la majeur — se déduit le second, souplement dérivé de la mélodie initiale.
Le second mouvement est un lied qui tranche par son écriture allégée, plus fine (nuancée du pianissimo au piannississimo, avec seulement quelques crescendi), et ses dimensions plus restreintes, avec les deux mouvements qui l'encadrent.
Le dernier mouvement est un Choral suivi de quatre variations :
Variation I : vivace ; Variation II : un poco piu vivo ; Variation III : calmo ; Variation IV : prestissimo. Ce qui est intéressant à propos du plan de ces variations, c'est qu'il reproduit en micro-structure le parcours des quatre parties d'une sonate classique. L'écriture en est très diversifiée. Ainsi, par exemple, celle de la seconde variation qui commence par un jeu d'octaves piquées à l'unisson des deux mains se poursuit par des arpèges aux teintes debussystes, dont émerge distinctement la mélodie en la majeur, thème du premier mouvement. C'est dans la troisième variation, empreinte d'un grand calme, que la filiation avec Debussy se fait le mieux sentir.
Mais ce qui est surtout frappant, à l'écoute de cette sonate, c'est que, par delà la séparation des mouvements, Dutilleux y manifeste constamment un surprenant génie mélodique. Génie qui situe sa sonate dans la lignée de celles de Schubert. Créée le 30 avril 1948 par Geneviève Joy qui en est la dédicataire, elle constitue, avec la sonate de Jean Barraqué et la seconde sonate de Pierre Boulez, une des trois réussites majeures de cette forme dans la seconde moitié de notre siècle.
Programme du concert de l'Ensemble Intercontemporain au Centre G. Pompidou, 17 et 24 septembre 1981.