Jean-Pierre Guézec est né à Dijon, le 29 août 1934. Il y écoute, au Grand Théâtre, opéras et opérettes, mais son premier souvenir musical, relatera-t-il, est un concert de Jacques Thibaud. À l’âge de six ans, il entreprend des études de violon, qu’il est contraint d’interrompre dix ans plus tard, en raison de douloureuses crises de rhumatisme articulaire. Il entre alors au Conservatoire de Paris, dans les classes d’Olivier Messiaen, Darius Milhaud et Jean Rivier. Là, il suit un long cursus, complet, jusqu’en 1963, et acquiert une grande maîtrise technique qu’il estime synonyme de liberté. Avec Messiaen, Guézec analyse le répertoire lyrique, de L’Orfeo à Wozzeck, d’un point de vue technique et esthétique, puis l’accentuation de Mozart, dont l’œuvre contiendrait toute la musique contemporaine, ainsi que la littérature pour clavier, de Scarlatti à Boulez. À Milhaud, il rend hommage dans le Concert pour violon principal et quatorze instruments (1960), qui s’inspire de l’instrumentation du Concertino de printemps. L’influence de Béla Bartók, dont Guézec orchestre la Suite op. 14, est sensible pendant ces années de Conservatoire, avec l’usage des cordes, du piano, de la percussion et du nombre d’or.
De 1963 date la Suite pour Mondrian (1963), pour orchestre, dont trois mouvements sont donnés en 1964, au Carnegie Hall de New York, avant la création complète, sous la direction d’Ernest Bour, l’année suivante, à Paris, au Théâtre des Champs-Élysées. Cette partition se divise en sept sections aux titres éloquents : Lignes et rythmes mouvants ; Rythmes, lignes et couleurs ; Lignes enchevêtrées ; Variations sur une seule couleur ; Points, taches et lignes ; Rythmes, lignes et couleurs ; Rythmes et lignes mouvantes. « Mondrian est un stimulant du point de vue formel. De petites surfaces agencées, imbriquées de diverses façons dans lesquels les couleurs et les matériaux différents jouent. Je cherche cette transposition dans le temps, dans la forme de ma musique. » En cette même année 1963, Guézec obtient le Prix de composition du Berkshire Music Center au Festival de Tanglewood, où il étudie avec Iannis Xenakis.
Dès lors, outre quelques musiques de scène (Copi, Witold Gombrowicz, William Shakespeare), les œuvres vocales et instrumentales, solistes, de chambre, d’ensemble, de chœur ou d’orchestre, à l’occasion concertantes, s’enchaînent, raffinées, parfois miniatures, pleines de contrastes de lumière et de couleurs, loin de la synesthésie de Messiaen, mais qui transposent dans l’écriture musicale les techniques de la peinture moderne et contemporaine : Architectures colorées (1964), Ensemble multicolore (1965), Reliefs polychromés (1969) ou Forme-Couleurs (1969), parmi les titres les plus explicites. « Je suis un artisan qui fait toute sa vie la même œuvre. J’essaie de parfaire. » Juxtaposition, superposition, tuilage, vertical et horizontal, recouvrement, partiel ou complet, et leurs combinaisons, génèrent des textures à la complexité savamment modelée. Ainsi, Architectures colorées établit d’autres équivalences avec les toiles de Mondrian. « La structure de la pièce, par surfaces homogènes juxtaposées, rappelle en effet le style de Mondrian, elle en a la pureté, la rigueur intellectuelle, les limites aussi. […] Il s’agit d’une conception formelle préalable, d’une image structurelle rigoureusement définie, qui tend à soumettre la matière sonore sans lui faire de concessions », écrit André Boucourechliev. Sept parties enchaînées, que Guézec appelle des « cadres », articulent trois registres distincts, les juxtaposent ou les superposent dans les cadres impairs, n’en conservent qu’un dans les cadres pairs. « Les Architectures colorées se composent de sept “cadres” différents dans lesquels évoluent des “plages” de diverses qualités sonores ; chacune de ces plages développe un certain type de durée, de tempo, d’allure, d’intensité, d’attaque, de timbre. » La première section est faite de points, de lignes glissées, de voiles d’harmoniques, de sons frappés, d’effets d’éclatements et de résonances contractées ; la deuxième se réduit à une texture grave, sans vibrato ; la troisième est un contrepoint global sur les trois registres ; la quatrième dans le médium, sur un unique sol, varie attaques, intensités, durées, allures ; la cinquième instaure une dialectique entre plages à densité instrumentale croissante et hauteurs déterminées, et plages à densité instrumentale fixe et hauteurs indéterminées ; la sixième, dans l’aigu, transforme lentement, de l’intérieur, un bloc sonore ; la septième juxtapose, superpose et tuile des plages.
Trois notions dominent dans l’œuvre de Guézec, si l’on en croit un entretien avec Martine Cadieu : la fébrilité, l’équilibre et la précision. La première suscite une extrême mobilité de la matière sonore, en regard de l’inquiétude du monde. Cette agitation, que Guézec inscrit dans le sillage du stile concitato de Monteverdi, de l’agilité de Mozart ou des rythmes irrationnels et de la virtuosité harmonique de Chopin, implique une musique aux événements nombreux et concentrés, qui se découvre peu à peu. « Pour qu’une œuvre vive longtemps il faut qu’elle ne dise pas tous ses secrets aussitôt. » L’équilibre est celui des paramètres du son. Quant à la précision, à la « poésie de l’exactitude », selon les termes du compositeur, elle atteste la rigueur d’une pensée issue du sérialisme, déterminant un nombre croissant de dimensions du discours.
En 1968, Guézec obtient le Grand Prix de la promotion symphonique de la Sacem. L’année suivante, six ans seulement après avoir quitté le Conservatoire, il y est nommé professeur d’analyse musicale, en remplacement de Messiaen. Il est alors le plus jeune professeur de l’établissement. Homme affable et discret, esprit ouvert, musicien humble devant son art, qu’il exerce volontiers dans la solitude, auteur d’articles et de notices de concert, notamment pour les programmes du Domaine musical, Guézec est de santé fragile, au point, selon Jean-Claude Eloy, de vivre « depuis toujours avec la présence perpétuelle de la mort au creux de sa conscience ». Un arrêt cardiaque le condamne, à Paris, le 9 mars 1971, à l’âge de trente-six ans.