informations générales

date de composition
1944-1945
durée
6 min
éditeur
Suvini Zerboni
Cycle
Liriche Greche
Opus
Anacréon, traduit du grec par Salvatore Quasimodo

genre

Musique vocale et instrument(s) (1 voix soliste et ensemble jusqu'à 9 instruments)

effectif détaillé

Soliste(s)
soprano solo

petite clarinette, clarinette, alto, piano

informations sur la création

date
24 juin 1946

Bruxelles, Société philharmonique

interprètes

Mariette Martin-Metten : soprano, orchestre de la Société philharmonique, direction : André Souris.

Note de programme

Les Liriche Greche coïncident avec les dures années 1942-1945 pendant lesquelles Luigi Dallapiccola et son épouse Laura (qui est juive) ont dû parfois se dissimuler pour échapper à la « campagne raciale ». Paradoxalement, ces trois cycles pour voix de femme et instruments n'ont rien de commun avec ces « professions de foi » que sont les Canti di Prigionia (1938-1941) ou l'opéra Il prigioniero (1944-1948). Au plus tragique de son existence, l'artiste puise ici à l'une de ses sources profondes : l'univers poétique de l'Antiquité grecque. Dallapiccola y avait été initié très tôt par son père, qui enseignait précisément le grec : on trouve dès 1932 et jusqu'aux Cinque canti de 1956 la présence de tels textes dans sa musique — ce qui n'avait rien à voir chez lui avec une certaine mode néo-classique. Le compositeur avait une réelle culture littéraire — incomplète mais très poussée dans certains domaines — qui lui permettait d'une part de choisir des textes intéressants, d'autre part d'en retenir des traductions de référence lorsque le cas se présentait ; ainsi les poésies des Liriche Greche furent-elles mises en musique dans la version italienne du grand poète Salvatore Quasimodo (prix Nobel en 1959).

Les Cinque Frammenti di Saffo (Cinq Fragments de Sapho, 1942, pour voix et quinze instruments), les Sex Carmina Alcaei (Six Chants d'Alcée, 1943, pour voix et onze instruments) et les Due Liriche di Anacreonte (Deux poèmes d'Anacréon, 1944-1945, pour voix et quatre instruments) voient le jour à un moment clé de l'évolution de Dallapiccola : il vient d'un monde madrigalesque, purement diatonique, mais il s'oriente vers le dodécaphonisme depuis les années 1935-1936. Certaines œuvres de Berg avaient fortement marqué quelques compositions des années 30 (l'opéra Volo di Notte par exemple), tandis que l'élément déterminant se situe désormais dans la fascination qu'il éprouve pour la musique de Webern : après avoir entendu le concerto Op. 24 en 1935 à Prague, il se rend spécialement à Londres, en 1938, pour assister à la création de Das Augenlicht dont il gardera un vif souvenir :

« Le son constitue, pour le moment, la plus grande impression que m'ait faite une des œuvres fondamentales de notre temps. » (Luigi Dallapiccola, « Rencontres avec Anton Webern » - pages de journal, in : Revue musicale suisse, Zurich, Verlag Hug et Co, juillet-août 1975, n° 4)

Dallapiccola rencontra Anton Webern lors d'un bref séjour à Vienne en mars 1942 ; cette entrevue et quelques lettres échangées ensuite confirmèrent une fascination que l'on sent de plus en plus prononcée à travers les Liriche Greche (les Sex Carmina Alcaei sont dédiées à la mémoire du compositeur autrichien).

En prenant appui ainsi sur quelques modèles de la Seconde école de Vienne et sur certaines observations très originales suscitées par la lecture des œuvres littéraires de Marcel Proust et James Joyce, le compositeur italien développe – en solitaire, comme tout ennemi du néo-classicisme à l'époque – un langage nouveau, en pleine expansion quant à ses propres limites :

« ...N'ayant pas de contact avec les maîtres du dodécaphonisme (en raison des circonstances politiques), le fait de m'attaquer au problème du dodécaphonisme m'apparaissait comme une aventure. Pour qui voulait suivre une telle voie il y a environ trente ans en l'absence de livres expliquant le système dodécaphonique, il était possible de faire des erreurs et aussi de trouver quelque chose à l'occasion. Surtout, il fallait faire confiance à son instinct plutôt qu'à des règles, écrites ou orales. » (lettre de Luigi Dallapiccola à Hans Nathan de juillet 1957, in : Nathan Hans, « The Twelve-Tone compositions of Luigi Dallapiccola », in : The Musical Quarterly, juillet 1958.)

Cette exploration tout à fait « libre » du dodécaphonisme marque précisément les Liriche Greche, qui correspondent à un moment des plus attachants de la production de Dallapiccola. Point de rencontres d'éléments apparemment contradictoires stylistiquement, ces œuvres reposent sur une grande malléabilité de l'écriture – ouverte à de vastes possibilités en ce qui concerne le rythme par exemple – dont le résultat expressif révèle une certaine richesse dans l'association – ou l'opposition – de différents gestes musicaux. On observe ainsi souvent des contrastes prononcés entre des sections à dominante verticale et des passages très nettement contrapuntiques. Par ailleurs, l'un des charmes de cette musique réside dans l'originalité de la conjonction timbre/rythme/contrepoint ; sur ce plan, on pourrait aussi bien parler de timbre « composé » que de contrepoint « coloré »...

Ces trois cycles peuvent être exécutés séparément ou comme un tout ; dans ce dernier cas, l'ordre des œuvres ne correspond pas à la chronologie, car le compositeur a précisé qu'il fallait jouer les Sex Carmina Alcaei après les Due Liriche di Anacreonte. L'œuvre dans sa globalité a en quelque sorte pour fil conducteur une série dodécaphonique – essentiellement constituée de quintes justes – énoncée dans le premier et le cinquième des Frammenti di Saffo, sous forme verticale pour l'un et mélodique pour l'autre. Cet élément peut donner un aperçu des rapports texte/musique chez Dallapiccola : il met en évidence la filiation Aphrodite-Eros (le second étant le fils de la première) entre les Cinque Frammenti di Saffo et les Due Liriche di Anacreonte par l'emploi de cette série à certains passages clés des textes :

Frammenti di Saffo : n° 1 : « tu ramènes l'enfant à sa mère » n° 5 : « J'ai conversé en songe avec la déesse de Chypre »

Due Liriche di Anacreonte :n° 1 : « Eros », n° 2 : « Eros »

Cette même série apparaît dans la première pièce des Sex Carmina Alcaei (au piano, à la fin de l'intervention vocale) pour rappeler le nom de Sapho.

Outre ces « madrigalismes » parfois difficiles à décoder, les Liriche Greche recèlent aussi, comme le formule Luigi Rognoni, « une énorme charge émotive, une vibration intérieure de la voix humaine qui se communique aux instruments à travers le contrepoint. » (Luigi Rognoni : Dallapiccola e « Volo di notte », oggi, in : Nicolodi Fiamma, Luigi Dallapiccola - Saggi, testimonianze, carteggio, biografia e bibliografia, Milan, Suvini Zerboni, 1975.)



Pierre Michel


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