L’un des petits plaisirs que je trouve au quotidien est de suivre des lignes. Les câbles électriques qui défilent à la fenêtre du train roulant, la ligne discontinue qui défile sous le pare-brise sur l’autoroute, la trajectoire de la lune lorsque la nuit est belle, une file de fourmis crapahutant sur un tronc d’arbre. L’apparente simplicité de tous ces mouvements recèle une beauté intérieure qui relève, pour moi, d’un principe arithmétique archétypal. Les lignes droites sont possiblement les plus simples, en géométrie comme en musique : glissandi, gammes chromatiques, rallentandi, accelerandi. Dans cette pièce, le déploiement des gammes chromatiques s’accompagne de celui de ce centre d’intérêt, qui en a fasciné tant d’autres, depuis Gesualdo, en passant par Purcell, en passant par Wagner, en passant par Stockhausen, en passant par Dizzy Gillespie, Nina Simone et un large pan du jazz, en passant par Lachenmann, en passant par Gervasoni et Romitelli. Après tout, l’identité, en musique comme dans la vie, est une hypothèse de travail. Un deuxième fil rouge concerne la musique au sens large : le monde autour de nous est plein de sons organisés, dont la présence est d’une manière ou d’une autre un rappel de la dualité entre moi intime et moi cosmique, entre la « musique » et le « bruit ». Aussi simple que le concept puisse paraître, il soulève d’importantes questions quant à l’organisation de la musique (peut-être au moyen du diapason, pour qu’on puisse soit accorder le monde, soit s’accorder au monde, soit les deux), quant à ses aspirations formelles (une fresque, pas une peinture) et quant à la relation entre sons acoustiques et sons électroniques (une transition organisée, ou une coexistence à égalité parfaite, ou une dichotomie schizophrénique, ou...). Dans la pièce, l’émergence de sons concrets s’accompagne de l’affirmation de ce centre d’intérêt, qui en a fasciné tant d’autres, depuis Varèse et Russolo, en passant par Schaeffer et Henry, en passant par Cage, en passant par les Beatles, en passant par Stockhausen (encore lui!), en passant par Wishart et Murray Schafer. Encore une fois : l’identité, en musique comme dans la vie, est une hypothèse de travail.