Christophe Bertrand (1981-2010)

Haïku (2008)

pour piano solo

  • Informations générales
    • Date de composition : 2008
    • Durée : 6 mn
    • Éditeur : Suvini Zerboni
    • Commande : Ars Mobilis, pour le festival Les Solistes aux Serres d'Auteuil
    • Dédicace : à Ferenc Vizi
Effectif détaillé
  • 1 piano

Information sur la création

  • Date : 31 août 2008
    Lieu :

    France, Paris, Jardin des serres d’Auteuil, festival Les Solistes aux Serres d'Auteuil


    Interprètes :

    Ferenc Vizi.

Note de programme

La forme du haïku que j'ai choisie est directement une référence aux Sept Haïkaï d'Olivier Messiaen : les proportions métriques de ce type de poème japonais (5-7-5) confèrent la structure de cette pièce, soit trois sections de 88’’-124’’-88’’, mais aussi aux sous-sections, selon le paradigme fractal.

Haïku n'est pas dénuée de virtuosité, loin s'en faut, et n'est pas avare de célérité. Mais elle se fait plus discrète, moins démonstrative, en un sens. Une forme d'ascèse, pour ainsi dire, que l'on retrouve dans la perfection de ces poèmes japonais, mais aussi dans beaucoup d'œuvres de Messiaen, de certains Regards sur l'Enfant-Jésus aux mouvements lents de la Turangalila en passant par certains Préludes. L'hommage à Messiaen est donc plus une ombre qui a plané sur moi pendant la composition de cette pièce qu'un monstre face auquel on se sent si petit qu'on n'arrive à rien produire. L'utilisation de la citation ou du collage eût été une facilité, j'ai d'emblée refusé ce procédé. Seul un accord est tiré d'une œuvre de Messiaen, c'est bien peu, et pourtant : toute la pièce tend finalement vers ces quatre notes à la sonorité si particulière. Est-ce d'ailleurs un hasard si Berio a utilisé la même matrice d'accord pour sa Sinfonia ?

La première section, leggierissimo, convulsivo, molto nervoso est constituée d'un contrepoint de quatre voix et articulé en trois sous-sections (26’’-36’’-26’’). Chacune des voix énonce de petits fragments de trois notes, sans cesse changeants, dont la fréquence de répétition est différente pour chaque ligne. D'abord polarisés sur un champ harmonique proche du mode 2 de Messiaen, les petits fragments évoluent chromatiquement vers l'aigu, alors que le nombre de huitièmes de soupirs les séparant diminue, jusqu'à zéro, pour devenir continuum (peu à peu à nouveau interrompu par de minuscules silences). La résonance partielle créée par les notes silencieuses intégrées dans la troisième pédale devient résonance pleine à mesure que l'ascension se déploie.

La seconde section, molto scorrevole e colorito, subdivisée de la même manière, selon les proportions du haïku (36''-52''-36'') est constituée de lignes extrêmement ornementées, dans la moitié aiguë du piano. Trois champs harmoniques distincts sont utilisés, tous très diatoniques, et mis en lumière par trois basses différentes, conférant ainsi à ces ornements des couleurs quasi spectrales. Le caractère suspendu de ce passage est obtenu par l'utilisation de valeurs rythmiques assez complexes, qui font complètement perdre la notion de pulsation. C'est déjà le cas dans les sections précédente et suivante, mais c'est dans ce passage central que ce goût pour le « non-pulsationnel » est le plus pregnant.

La troisième section, quasi campane, elle aussi subdivisée comme la première section (26’’-36’’-26’’) est un resserrement, un rétrécissement progressif des harmonies éclatées de la section centrale : les dix notes principales du dernier champ harmonique entendu sont égrénées, chacune à sa propre fréquence de répétition, ce qui implique une écriture sur cinq portées, pour obtenir une sonorité de « cloches d'angoisse », qui tend à se diriger impérieusement vers l'accord final, qui n'est autre que l'agrégation des quatre premières notes de la deuxième des Visions de l'Amen : fa-lab-do-mi, avant de finir dans le silence.

Cette pièce, quoique destinée au piano, a été écrite comme toutes mes autres pièces, sans l'aide de l'instrument, mais à la table. Ma formation de pianiste, les mécanismes que les années d'études ont forgés en mes doigts, auraient fatalement rejailli sur l'écriture elle-même et créé une pièce par trop pianistique. En écrivant sans l'appui du piano, je peux aller au-delà des idiômes instrumentaux, en pensant l'instrument virtuellement et non mécaniquement ou digitalement, et envisager des alliages, des processus que je n'aurais pas pu réaliser autrement.

Christophe Bertrand