Palimpsests (2000-02) offre une perspective nouvelle par rapport aux pièces qui la précèdent, At First Light et Three Inventions for Chamber Orchestra. Il semble que Benjamin, d'une pièce à l'autre, réagit de façon critique, désirant moins continuer dans la même direction qu'ouvrir d'autres possibles, en évitant ainsi de se répéter. La formation instrumentale elle-même marque une nouvelle progression dans la conception de l'ensemble, à mi-chemin du groupe de solistes et de l'orchestre symphonique, le compositeur ne s'accomodant pas cette fois de l'instrumentarium standard, même aménagé, mais créant son propre univers sonore : l'effectif exclut certains instruments, tels le hautbois, le basson (mais il y a un contrebasson) et les violoncelles. Cet orchestre inédit comporte lui-même un équilibre très particulier : se font face dans la disposition proposée les cinq violons, les trois altos et quatre contrebasses sur la gauche, les quatre flûtes, les quatre clarinettes, le contrebasson et quatre autres contrebasses sur la droite ; à l'arrière-plan, sur une première ligne, sont disposés les trois cors, les quatre trompettes, la trompette basse, les deux trombones et le tuba ; puis sur une deuxième ligne, tout au fond, les trois percussions. Piano et célesta font pendant, derrière le groupe des cordes, aux deux harpes placées symétriquement derrière le groupe des vents.
Si on la compare aux deux œuvres précédentes, Palimpsests s'éloigne notablement de tout climat « impressionniste » ou « expressionniste » au profit d'une écriture plus austère, et l'on voudrait dire, plus objective. On ne retrouve ni les chatoiements de timbres pris pour eux-mêmes, avec leur climat de magie sensuelle, propres à At First Light, ni la sombre polyphonie et le dramatisme vers lesquels tendent les Three Inventions, mais une recherche de transparence et de rigueur presque formelles, un travail d'orfèvre, un jeu avec l'idée purement musicale. Bien sûr, la beauté harmonique de l'écriture demeure, et les métamorphoses à partir d'un motif initial, le souci de lier les deux mouvements ensemble, aussi différents soient-ils en apparence. Tout commence avec une sorte de chanson, ni vraiment tonale, ni vraiment atonale, mêlant diatonisme et chromatisme de telle sorte qu'on ne parvienne pas à déterminer sa généalogie : elle est énoncée par les clarinettes et sera reprise ensuite, déformée. Elle constitue la base d'un vaste processus de transformations et de développements qui se réalise avant tout dans une écriture polyphonique à grande échelle. On comprend alors que le choix de l'instrumentarium est essentiellement lié au désir de clarté de cette polyphonie, à la fonction plutôt qu'à la couleur des timbres en tant que telle. Si Benjamin trouve ainsi le moyen de faire entendre distinctement des cordes qui, au premier regard, semblent devoir être submergées par les forces qui les entourent, c'est que les différents groupes ont tous une écriture spécifique. La chanson peut elle-même devenir fanfare de cuivres, ou paysage menaçant, et se dissoudre dans des sonorités ponctuelles ; en-dessous d'elle prolifèrent des figures rapides, incisives, nerveuses, qui passent d'un groupe à l'autre, et qui par moments s'affolent de par leur propre mouvement ; dès le début, il y a des ponctuations sèches, sous forme d'accords massifs ou de lignes hâchées, dans un style presque cartérien, par lesquels croît aussi la tension dramatique ; enfin, le piano et les claviers de percussion déploient des figurations virtuoses, sortes d'éclats ou de fusées sonores qui donnent un certain brillant. Tout le premier mouvement pourrait être assimilé à une forme en refrains et couplets, avec à la fin une surprenante rupture lorsque le refrain lui-même sonne aux violons dans le lointain, grâce à l'utilisation de la sourdine de travail, puis de façon squelettique aux percussions frottées : alors une coda inattendue, rappelant la sonorité de départ des Three Inventions, amène un climat onirique, dans un son de boîte à musique qui conduit à la péroraison. Le deuxième mouvement reprend les éléments du premier, mais disposés différemment, dans une intrication complexe. Au moment où le cor bouché et le cor ouvert dialoguent, sur fond d'harmoniques aux cordes, on pourrait penser que la pièce va s'achever dans l'épuisement du son. Mais les pièces de Benjamin échappent à ces fins mourantes devenues si conventionnelles dans la musique contemporaine : une coda vive, hommage à Pierre Boulez, dédicataire de la pièce, reprend le matériau sous un nouvel aspect, que l'accord final interrompt brusquement. Cette exploration du contrepoint est menée de façon systématique dans Shadowlines pour piano (2003), six études sur des structures canoniques strictes, capables de produire, par des procédés originaux, des résultats parfois surprenants, comme celui d'une structure chromatique générant une structure diatonique.