Robert Ashley a révolutionné la manière dont on envisage la relation entre texte et musique et il faudra attendre plusieurs générations pour aller au-delà de ses avancées dans ce domaine. Ses livrets sont si denses, si idiosyncratiques et si déterminants dans ses opéras vidéos que les musiciens voient en lui surtout un poète ou un conteur agrémentant ses long poèmes d’arrière-plans sonores de moindre importance. En réalité, Ashley a dû inventer une grande variété de structures musicales originales pour pouvoir faire la musique qu’il désirait, une musique où le texte parlé est presque toujours à l’avant-plan. Pour Ashley le mot est musique. Ce qui passe pour de la narration dans ses opéras est en fait la mélodie ininterrompue du langage humain, parfois accompagnée de séquences d’accords et de processus sonores qui nous permettent de l’entendre en tant que telle.
La carrière musicale d’Ashley, né en 1930 à Ann Arbor dans le Michigan, se scinde en deux parties autour des années 1978-1979, période où il écrit Perfect Lives (pièce d’abord intitulée Private Parts) qui reste son œuvre la plus connue et la plus aboutie. Ashley se fait connaître dans les années 1960 et 1970 en tant que membre du groupe de compositeurs expérimentaux associés au festival ONCE de Ann Arbor. Étonnamment positionnés entre le sérialisme de Boulez et Stockhausen et le conceptualisme débridé et diamétralement opposé de Cage et des compositeurs du groupe Fluxus, les compositeurs du festival ONCE (dont Ashley, Gordon Mumma, George Cacioppo, Alvin Lucier, Roger Reynolds et quelques autres) créent des œuvres qui rejettent souvent en bloc les méthodes et les matériaux musicaux traditionnels. Une pièce peut être fondée sur un processus électronique, un ensemble d’instructions verbales ou sur une série d’actions dont le résultat sonore serait un sous-produit purement fortuit. Au sein de ce milieu, Ashley se distingue par l’intérêt qu’il porte à la situation sociale du concert davantage qu’aux dispositifs sonores. En 1961, il écrit, suivant en cela Cage, que la métaphore qui doit guider la musique n’est plus le son mais le temps. Ce qui en résulte est « une musique n’impliquant rien d’autre que la présence de gens… Il me semble que la redéfinition la plus radicale de la musique à laquelle je puisse penser implique une définition de “la musique” sans faire aucune référence au son. »[1]
Le festival ONCE (nommé ainsi car on ne pensait qu’il n’aurait lieu qu’une fois) a animé et choqué la ville de Ann Arbor de 1961 à 1969, au cours d’une décennie où, partout aux Etats-Unis, toute vérité semblait sujette à une redéfinition radicale. Le premier opus d’Ashley, une Sonate pour piano rigoureusement sérielle datée de 1959, y est créée. Ce sera sa dernière œuvre écrite dans une notation musicale conventionnelle avant sa pièce pour piano Van Cao’s Meditation composée plus de 30 ans plus tard. La pièce Public Opinion Descends upon the Demonstrators datée de 1961 est sa première pièce de théâtre musical. Il y fait monter en puissance des sons électroniques tonitruants provenant de haut-parleurs très espacés en les confrontant aux bruits involontaires et aux signes d’impatience des membres du public. Des œuvres comme in memoriam… CRAZY HORSE (symphony) (1962) contiennent des instructions qui déterminent comment les instrumentistes doivent réagir aux sons qu’ils entendent et ainsi les influencer.
Wolfman, composée en 1964, est sa pièce la plus célèbre de la période d’avant Perfect Lives, celle à laquelle le nom d’Ashley est indubitablement associé. En mettant sa bouche très proche d’un micro, Ashley crée un feedback diffusé sur des hauts parleurs à des niveaux assourdissants, et pour obtenir l’effet voulu, il se déguise en un personnage sinistre d’animateur de boite de nuit. A une époque où le rock’n’roll n’avait pas encore fait grimper les niveaux d’amplification auxquels les auditeurs étaient habitués, la pièce fut qualifiée de malsaine et perçue comme une torture continue des auditeurs.
Ashley forme aux côtés de Mumma, Lucier et David Berhman, le Sonic Arts Union avec lequel il fait de nombreuses tournées ; jusqu’à la fin des années 1970 c’est la facette principale de son personnage public. « Nous étions l’un des inventeurs », nous dit Ashley à ce propos, « d’un genre de musique où l’on ne peut pas faire d’erreurs. On ne peut pas jouer de fausses notes. Tout ce que l’on fait est ce que demande la pièce. Peu importe ce que l’on fait, cela reste toujours dans le champ de définition de la pièce ». [2]
Dans sa maturité, Ashley composera une série remarquable de onze opéras : Perfect Lives, Atalanta, Improvement : Don Leaves Linda, eL/Aficionado, Foreign Experiences, Now Eleanor’s Idea (ces quatre derniers formant une tétralogie), Dust, Celestial Excursions, Concrete, Quicksand, et Crash. Aucune de ces œuvres n’est un opéra au sens strict du terme. La « partition » d’un opéra d’Ashley comporte en général le texte écrit, ligne après ligne, avec des annotations indiquant quel personnage parle, (souvent) quelles syllabes sont accentuées sur un temps, quel accord est joué, sur quelle hauteur de récitation le personnage doit parler ou chanter, et occasionnellement (ce qui est rare) une mélodie associée à un personnage. La partition ne représente pas la pièce dans son entier, elle ne contient pas, par exemple, la musique de « l’orchestre » qui peut être écrite sous une autre forme ou improvisée par les musiciens du groupe d’Ashley. Souvent, la structure rythmique de l’opéra est prédéterminée avant même que le texte ne soit écrit. Par exemple, les opéras Improvement, Foreign Experiences et Now Eleanor’s Idea sont tous fondés sur des divisions symétriques d’un modèle de 6336 temps – les trois opéras possèdent cette durée mesurée en temps et sont différemment divisés en actes. Les quatre histoires de Dust sont chacune longue de 224 vers de quatre temps et durent chacune exactement 9 minutes et 57 secondes. Ces coïncidences montrent que le facteur déterminant d’un opéra d’Ashley n’est pas le texte mais une structure musico-rythmique.
On raconte qu’un ami réalisateur demanda à Ashley d’écrire le scénario pour un remake contemporain du film Le magicien d’Oz. Avant la fin des années 1970, Ashley n’avait jamais écrit de texte en dehors du processus collaboratif développé au sein du festival ONCE. Il se mit à écrire. « Je découvris », nous dit-il « que je ne pouvais pas penser à une idée si je ne la verbalisais pas. Je ne peux pas m’asseoir en face d’une machine à écrire et écrire une histoire. Je dois raconter l’histoire, en me parlant à moi-même. » [3] Il produisit ainsi une méditation à propos d’un vieil homme, intitulée « The Park » et une autre à propos d’une jeune femme intitulée « The Backyard » qui (sans lien aucun avec le Magicien d’Oz finalement)sont devenus les premier et dernier épisodes de Perfect Lives, opéra destiné à la télévision.
Dans Perfect Lives, les images sont des mosaïques et sont non-linéaires. Elles comprennent de longues séquences où Ashley en train de chanter et où « Blue » Gene Tyranny interrompt au piano les descriptions des personnages au sujet desquels on chante, ainsi que des séquences plus abstraites. Une logique géométrique traverse la pièce de telle sorte que le premier épisode « The Park » met l’accent sur une ligne horizontale basse, « the Bank » est fondé sur une grille orientée vers le haut et « The Church » possède un cercle en son centre, et de même pour les autres épisodes.
L’histoire de Perfect Lives est fantasque et dans les opéras d’Ashley l’intrigue n’est ni racontée ni entièrement inférée à partir du texte.
« Je pense qu’aucun auditeur ne peut se rappeler rien qu’à l’écoute des intrigues de mes opéras. Une intrigue appelle une longue « exposition ». On doit sans cesse se rappeler ce qui est en train de se passer. Je n’ai pas le temps de faire cela, et ce travail ne m’intéresse pas… Je crois désormais, près d’une décennie plus tard, que l’auditeur d’un des quatre opéras contenus dans Now Eleanor’s Idea se rappellerait simplement et de manière frappante du personnage central et de quelques dialogues et inférerait à partir de ces dialogues une intrigue que je n’ai pas souhaité mettre en avant. » [4]
Perfect Lives s’ouvre sur l’histoire d’un vieil homme méditatif nommé Raoul et son ami Buddy, « le plus grand pianiste du monde », qui arrivent dans une ville du Midwest. Ils élaborent avec deux personnes du coin, Isolde et Don – capitaine de l’équipe de football – un plan pour voler tout l’argent de la banque de la ville mais pour une journée seulement, « afin que le monde entier sache que l’argent a disparu », puis de le ramener. Don et Isolde prennent l’argent pour faire un voyage avec leurs amis, Ed et Gwyn, qui quittent la ville pour se marier, sans que ces derniers le sachent. Will, le père d’Isolde et le sheriff de la ville, découvre la machination trop tard et Ed et Gwyn se marient dans des noces mystiques. Le dernier épisode, « The Backyard », parle des errances métaphysiques d’Isolde lors d’une fête donnée dans son jardin.
Atlantaest un hommage à trois personnalités qui ont inspiré Ashley : le pianiste de jazz Bud Powell ; l’oncle d’Ashley Willard Reynolds qu’il décrit comme un conteur-chamane ; et le peintre surréaliste (et oncle de sa femme Mimi) Max Ernst. Cette œuvre possède le texte le plus long de tous ses opéras ; seul un tiers du texte peut être utilisé lors d’une représentation. D’autres opéras sont basés sur les personnages et les intrigues introduites dansPerfect Lives. Improvement : Don Leaves Linda s’intéresse à Don, le capitaine de l’équipe de football, et à Linda, l’une des caissières de la banque. Il s’agit de l’opéra d’Ashley à la structure la plus complexe. Il est écrit comme une grande passacaille sur une série de 22 hauteurs agencées sur des harmonies de Fa mineur et Sib mineur. Il s’agit également d’une allégorie où Don représente l’Espagne de 1492 et Linda, les Juifs exclus à cette époque là. Le texte est ponctué d’évènements et de noms faisant référence à l’histoire juive jusqu’à la constitution de l’état d’Israël.
Au fur et à mesure que sa carrière avance, les opéras d’Ashley deviennent de plus en plus ouvertement autobiographiques. Foreign Experiences est un autoportrait des premières mornes années d’Ashley au Mills College, juste après son divorce. Il s’appuie aussi largement sur des histoires d’usages de stupéfiants et de mysticisme du désert que l’on retrouve dans les livres de Carlos Castaneda, très populaires dans les années 1970. eL/Aficionado est une œuvre plus modeste et plus lyrique, pastiche d’une histoire d’espion où le personnage principal (chanté par Thomas Buckner) est interrogé. Now Eleanor’s Idea revient de manière plus explicite aux thèmes de Perfect Lives. Eleanor, l’une des caissières de la banque (chantée par Joan LaBarbara) part à la recherche de Buddy et trouve dans le Sud-Ouest une forme de mysticisme. Les recherches d’Ashley pour cet opéra l’ont conduit à entrer en contact avec des groupes de lowriders près d’Espanola et de Chimayo dans le nord du Nouveau Mexique : une lowrider étant une voiture (souvent un modèle des années 1950) dont le système de suspension a été altéré pour pouvoir rouler plus bas que la normale et qui est habituellement décorée de peintures extrêmement détaillés. Un entretien avec un de ces « lowriders » forme une partie du texte de l’opéra.
Les personnages principaux de Dust sont un groupe de sans-abris qui habitaient dans un petit parc visible depuis l’appartement d’Ashley à Tribeca, mais leurs histoires sont celles de sa jeunesse. L’opéra se termine par un quatuor de chansons presque pop parlant des différents aspects de l’amour, une sorte d’hommage fait par Ashley à plusieurs chanteurs de country. En fait, presque tous les opéras d’Ashley contiennent une chanson pop passée au crible de sa vision excentrique du genre. Celestial Excursions (2003) est un opéra très élaboré sur le plan musical à propos de la vieillesse où les chanteurs incarnent les détenus d’un asile. Concrete (2006), composé d’une série d’histoires tirées de sa vie, est le premier de ses opéras sur un fond entièrement électronique et où sa voix est absente. Crash (2013-2014) et Quicksand (2011-2015) n’ont pas été créés de son vivant. Crash est autobiographique et Quicksand est une fiction d’espionnage basée sur un voyage d’Ashley et Mimi en Thaïlande dont le livret a été publié comme une nouvelle.
Au fur à mesure qu’a avancé la carrière d’Ashley, la forme et la méthode de ses opéras s’est cristallisée autour d’interprètes et de techniciens avec qui il travaillait systématiquement. L’un d’eux est le pianiste Robert Sheff qui compose et joue sous le nom de « Blue » Gene Tyranny. Pour la première exécution de Perfect Lives, Ashley lisait le texte et Tyranny jouait du piano avec une bande électronique en arrière-plan. En 1982, une multitude d’autres couches sonores venait s’ajouter à la pièce et ainsi proliférer. Tyranny (qui était un improvisateur incroyablement polyvalent) incarne aussi le personnage de « Buddy, le plus grand pianiste du monde », central aux quatre opéras de Now Eleanor’s Idea. Par ailleurs, quatre chanteurs, entrés dans la vie d’Ashley à différents moments, forment les quatre personnages sur lesquels il s’appuie : Thomas Buckner, Jacqueline Humbert, Joan LaBarbara, enfin son fils, Sam Ashley. Avec la propre voix d’Ashley, ce quatuor équilibré de voix homme et femme est au cœur (jusqu’à Concrete) de tous ses opéras, d’ Improvement à Crash. Par exemple, dans sa tétralogie, Humbert est le personnage principal d’Improvement, Buckner d’ eL/Aficionado, Sam Ashley de Foreign Experiences et LaBarbara de Now Eleanor’s Idea. Faisant également ses débuts avec la tétralogie, le compositeur et ingénieur du son Tom Hamilton rejoint l’écurie de créateurs d’Ashley. Il est responsable de nombreuses réalisations techniques et de nombreux fonds sonores, notamment dans Concrete.
Ashley destinait ses opéras à la vidéo – ou plutôt à la télévision – mais à cause des coûts exorbitants de production, seul Perfect Lives a pu être présenté au travers de ce medium. La pièce a été diffusée à la télévision au Royaume-Uni mais jamais aux États-Unis. Ashley écrit qu’il conçoit ses opéras « comme une série télévisée, où chaque épisode possède un sens et un humour en soi, mais fait en dernier lieu partie de quelque chose de plus grand qui lui donne pleinement son sens. Les fans de télévision qui ont regardé The Honeymooners [une émission TV des années 1955-1956 avec Jackie Gleason, rediffusée à de nombreuses reprises pendant plusieurs décennies] presque toute leur vie ont su quelque chose qu’ils n’aurait pas su s’ils n’avaient vu qu’un seul épisode. C’est pareil pour Star trek [série de science fiction populaire des années 1966-1969]. Ce sont mes modèles. J’ai dû faire des compromis sur la forme de présentation de mes opéras parce que je n’ai pas pu les diffuser à la télévision. Mais ils sont de la télévision pure. Ils sont destinés à être écoutés et vus par deux personnes assises sur un canapé, prenant un verre, mangeant parfois un en-cas, allant parfois au toilettes et jetant enfin l’éponge parce qu’ils doivent aller au lit, fatigués par une dure journée de travail. Ils sont destinés à être vus plusieurs fois. Les détails s’accumulent et à la fin on entraperçoit l’idée générale. C’est cela ma vision de l’opéra. » [5]
Pour Perfect Lives, Ashley engage le vidéaste John Sanborn pour créer une présentation vidéo kaléidoscopique qui anticipe les courants qui deviendront par la suite communs dans la musique pop (pensons à l’esthétique de MTV). Ses autres opéras ont été pour la plupart joués sur scène avec les quatre ou cinq personnages principaux visibles, parfois dans un décor simple et avec « l’orchestre » et l’électronique situés hors scène. Les chanteurs chantaient avec un casque et une piste métronomique (clicktrack) afin de maintenir une continuité au sein des plusieurs centaines de lignes d’une texture sonore frôlant parfois la surcharge d’informations. Humbert et Sam Ashley ne lisait pas la musique mais ils étaient dotés d’une incroyable oreille musicale et ils parlaient avec l’accent de Detroit qu’Ashley considérait comme central pour son style musical.
Au fur et à mesure que sa carrière avance, les structures musicales qui sous-tendent les opéras d’Ashley tendent de plus en plus vers la simplicité. eL/Aficionado est structuré comme une passacaille sur seize accords de jazz sur lesquels Buckner fait une improvisation en utilisant des échelles spécifiques. Ces accords sont réutilisés dans Now Eleanor’s Idea. La scène qui ouvre Dust utilise une progression de simples triades répétées suivant un motif isorythmique. Celestial Excursions est, par exemple, entièrement composé à partir d’une gamme de do majeur dont les différentes notes (sauf do) sont utilisées comme un bourdon dans le grave permettant de différencier les sections de la pièce. Il s’agit sans doute de son opéra le plus musicalement abouti. Il comprend une longue improvisation sans paroles d’Ashley lui-même au clavier, ainsi qu’un rare traitement musical des paroles d’une autre personne que lui, un sonnet du philosophe de la renaissance, Giordano Bruno, l’une de ses obsessions, figurant au centre de son panthéon intellectuel.
Onze opéras dominent ainsi, mais pas exclusivement, la production des trente dernières années de la vie d’Ashley. Il écrit également des œuvres sur des textes moins ambitieux comme la pièce pour orchestre et voix composée pour Buckner When Famous Last Words Fail You (1997) ou la pièce radiophonique d’une heure Your Money My Life Goodbye (1998), commande de la radio bavaroise. Cette pièce, écrite en s’inspirant des pages financières du Wall Street Journal, raconte l’histoire d’un ponte et escroc de la finance qui meurt soudainement en prison. Ashley a également écrit d’autres pièces pour orchestre, qui n’ont jamais été jouées mais qui ont été diffusées dans des versions MIDI. Superior Seven (1988), pour la flûtiste Barbara Held et un orchestre virtuel est basée sur une forme élaborée de soggetto cavato, une correspondance entre notes et lettres qui crée une atmosphère sombre et mystérieuse. Tract (1992) pour la voix de Buckner et un orchestre virtuel vient compléter une pièce conceptuelle datant de 1995. Ashley a également écrit Van Cao’s Meditation (1992) pour le pianiste Lois Svard et Outcome Inevitable (1991) pour l’ensemble Relache de Philadelphie. Ce sont deux pièces méditatives, presque immobiles dans un style post-minimaliste qui lui est propre, au sein lesquelles les textures ne changent pas mais les détails demeurent imprévisibles.
La réputation d’Ashley a connu une trajectoire variée. Considéré comme un expérimental et même un bad boy de la musique pendant la période de Wolfman, il est passé au premier plan au début des années 1980 quand l’opéra, vu depuis le milieu du siècle comme une forme irrémédiablement conservatrice, s’est épanoui sous l’influence vivifiante de la technologie électronique ; bien que les opéras de Philip Glass soient ceux qui ont reçu le plus d’attention, ceux d’Ashley semblent beaucoup plus audacieux et originaux. Avec la chute des subventions publiques pour les arts à la fin des années 1980, les goûts musicaux se sont faits plus conservateurs. Ashley est devenu une personnalité secondaire aux Etats-Unis, bien que reconnu par les interprètes et les producteurs de l’avant-garde européenne. À la fin de sa vie, Ashley a vu des groupes de jeunes musiciens (comme le groupe Varispeed) commencer à interpréter ses opéras à leur façon, prouvant que ces derniers pouvaient être produits sans lui et ainsi survivre à une multitude d’interprétations, notamment dans la partie orchestrale. En 2009 MusikTexte a publié un volume d’écrits d’Ashley (Outside of Time) et le premier livre sur sa musique a été publié en 2012. L’avènement de définitions plus libres du terme « opéra », nécessaires pour normaliser et assimiler la production musicale d’Ashley n’a pas encore eu lieu. Il est clair cependant qu’un nombre suffisant de musiciens trouve sa musique assez imaginative et assez fascinante pour la maintenir en vie.
[1] Generation, vol. 13, nos 1-2, p. 49 ; cité dans Michael Nyman, Experimental Music: Cage and Beyond, New York, Schirmer Books, 1974, p. 10.
[2] Entretien avec l’auteur, New York City, 11 Juin 2009.
[3] Entretien, 10 Juin 2009.
[4] « A New Kind of Opera », in Outside of Time, Musiktexte, 2009, p. 136.
[5] « Speech as Music: A Musical Autobiography », in Outside of Time, Musiktexte, 2009, p. 76, 78.