Parcours de l'œuvre de Mikis Theodorakis

par Kalliopi Stiga

Musicien, poète, mélodiste, chansonnier, symphoniste, combattant, penseur, humaniste, universaliste… Nombreux sont les qualificatifs qui ont été attribués au fil du temps à la personnalité certainement la plus enthousiaste et la plus créative de la Grèce contemporaine, le compositeur, homme politique et académicien Mikis Theodorakis. Loin de se contredire, ces qualificatifs coexistent et se complètent, car musique et politique ne sont que les deux faces d’une même pièce dans la vie de Mikis Theodorakis. Chanson et symphonie flirtent, mélodies et idéaux humanistes cohabitent aussi bien dans la musique que dans la parole politique du compositeur combattant, grécité et œcuménisme convergent et conversent.

Le poète et l’écrivain

De la poésie à l’essai politique et philosophique, du roman autobiographique à l’analyse musicale, la polyvalence et le dynamisme de Theodorakis s’expriment au sein même de ses écrits. Si ses recueils poétiques et son roman autobiographique Les Chemins de l’archange relèvent directement du domaine littéraire, ses autres textes peuvent être répartis en deux grandes catégories : les textes sur la musique et la culture, et les textes politico-philosophiques.

À la première catégorie, appartiennent La Musique pour les masses (1972), L’Anatomie de la musique (1983), Music and Theater (1983), Pour la musique grecque (1986), La Poésie mise en musique (3 volumes, 1997-1999) et Où puis-je trouver mon âme ? Musique et Art et civilisation (2002).

Relèvent de la seconde catégorie La Dette (1974), Pour l’art (1976), La Gauche démocratique et centralisatrice (1976), Les Fiancés de Pénélope (1976), Pour un gouvernement de collaboration nationale (1977-1978), Le Changement, Problèmes d’unité de la gauche (1978), La Culture combattante (1982), Star System (1984), Éléments pour une nouvelle politique (1986), Antimanifesto (1989), Où allons-nous ? (1989), Un parti de gauche est demandé (1990), Où puis-je trouver mon âme ? Idées (2003), Le Manifeste des Jeunesses Lamprakis (2003) et Étincelle. Pour une Grèce indépendante et forte (2011).

Parmi ces ouvrages, La Musique pour les masses, L’Anatomie de la musique, La Poésie mise en musique, La Dette, la trilogie Où puis-je trouver mon âme ? et Étincelle. Pour une Grèce indépendante et forte sont particulièrement utiles à la compréhension de la création artistique et de la pensée philosophique et politique de Theodorakis.

Mais son chef-d’œuvre est assurément Les Chemins de l’archange, œuvre monumentale en cinq volumes, écrite et publiée entre 1986 et 1995. L’auteur y fait appel à ses souvenirs de combattant et à ses expériences de créateur, se réfère à des périodes importantes de l’histoire grecque contemporaine et à des événements précis de son existence, évoquant ainsi l’histoire de sa vie qui, dans son cas, peut être identifiée à l’histoire de la Grèce du xxe siècle.

Poésie et musique

L’aventure de Theodorakis avec les mots commence dès son adolescence, puisque l’édition de son premier recueil poétique intitulé ΣΙΑΟ date de 1939. Avec les poèmes de cette époque, publiés sous le pseudonyme de Dinos Maïs (Ντίνος Μάης), « le poète a dessiné avec vivacité l’âme juvénile, inquiète et pure1 » :

Je sens en moi une flamme

qui me fait fondre et qui me sauve !

Je sens en moi des ailes qui s’ouvrent

et qui me soulèvent

au loin au dessus des pays d’une Harmonie inaudible,

et d’une Beauté invisible2 !

S’il n’a pas cessé d’exprimer ses pensées, ses chagrins, ses joies et ses inquiétudes à travers la parole poétique, Theodorakis a été aussi et surtout un grand lecteur de la poésie des autres, comme en témoignent nombre d’œuvres, ainsi que ce passage des Chemins de l’archange:

« Dès le début de mon intérêt pour la musique, je n’ai fait que mettre en musique les poèmes que j’aimais lire et réciter. Je laisse rire ceux qui le désirent, mais moi, je vais redire que quand je lis un poème tantôt “j’écoute” et tantôt “je n’écoute pas” sa musique. J’adore la poésie de Cavafy, mais jamais je n’ai perçu le moindre son mélodique, dans le bouleversement émotionnel-psychique-spirituel que cette lecture provoque chez moi».

Theodorakis choisit les poèmes qu’il met en musique selon leur originalité et les sentiments qu’ils éveillent dans l’âme du peuple. C’est pourquoi il a toujours recours aux poètes grecs ou étrangers qui expriment la « grécité » sous toutes ses formes : grandeur, décadence, liberté, foi, passion, beauté de la nature, amour.

Cependant, quand il en ressent le besoin – surtout pendant les périodes difficiles d’arrestation, d’emprisonnement, d’exil –, il redevient auteur, et des œuvres poétiques comme Le Soleil et le Temps (1967), Les Chansons d’Andréas (1968), Arcadie I (1968), Arcadie VI (1969) ou Arcadie X (1969) voient le jour. Évoquant les conditions dans lesquelles le recueil Le Soleil et le Temps est né, il explique dans La Dette: « Je ne suis pas poète, mais quand les vers ont commencé à marteler mon esprit, j’ai ressenti à quel point les mots peuvent se vêtir de sang ; à quel point ils peuvent me délivrer4… »

Le penseur : œcuménisme et harmonie

De son expérience de la guerre tout au long des années 1940, Theodorakis a tiré la conviction que la libération spirituelle et la renaissance politique exigent de longues luttes et des sacrifices énormes. Aussi, à cette période, révise-t-il sa propre idéologie : il conçoit le christianisme comme un sacrifice inévitable, adopte les idées du marxisme et rêve d’un humanisme utopique qui arriverait à sauver et à unir non seulement les Grecs, mais aussi toute l’humanité à travers la beauté créée par l’art5. Il écrit dans Où puis-je trouver mon âme ?/ Art et Civilisation:

« Je pense que j’ai gardé du christianisme le message d’amour, qui a été rapidement bouleversé par ma rencontre avec le marxisme, lequel exigeait des luttes basées sur la haine entre les classes sociales. Le combat intérieur était en effet énorme entre ces deux théories qui nous bouleversaient à cette époque-là.

Heureusement pour moi, un troisième chemin ou plutôt un premier chemin, complètement personnel, le chemin de “l’Harmonie universelle”, m’a été révélé. La “loi de l’Harmonie universelle” était au dessus de l’amour et de la haine, car elle fonctionnait comme une nécessité, si bien sûr, nous voulions être dignes de la vie offerte. Ainsi, pour moi, le monde du christianisme fonctionnait uniquement autour du message d’amour, alors que le monde du marxisme s’est cristallisé uniquement autour de l’idée de justice sociale6 ».

Cette « cosmo-théorie », qu’il appelle « théorie de l’Harmonie universelle », se caractérise par deux postulats : Amour et Justice sont les éléments essentiels de l’Harmonie universelle ; et Dieu en est le « centre idéal », d’où jaillissent les lois de la Nature et la Musique7.

Theodorakis précise :

« Toutes les parties de Pan – le Grand Tout – composent une gigantesque harmonie cristallisée, tandis qu’elles tourbillonnent autour du Centre sacré du Cosmos. L’Homme s’accomplit quand il s’identifie à ce Centre. Mais ce n’est pas tant son corps, curieusement, que son esprit qui le handicape. Son esprit qui est un “univers dévasté”. Car le souffle du désordre, de la confusion et du chaos l’ont paralysé, nécrosé. De sorte que l’esprit décrit continuellement des figures irrégulières, des courbes, et jamais de lignes droites. Pourtant, le “Centre sacré” nous appelle. Il nous attire comme un immense aimant. Quand nous avons atteint la connaissance de soi, nous ressentons cette attraction irrésistible8 ».

Ainsi, à la conviction de l’éminent poète néo-hellène Kostis Palamas (dont les textes ont profondément influencé Theodorakis) selon laquelle « le rythme poétique – l’avancement rythmique – symbolise le rythme qui gouverne l’Univers », Theodorakis ajoute l’Harmonie, cette harmonie rythmique que l’on constate à travers le mouvement des astres, lorsque l’on fixe la voûte céleste.

Sans connaître alors ni la théorie de Pythagore, ni celle ultérieure des Pythagoriciens, Theodorakis conclut :

« La Musique, répandue comme la lumière, est l’expression sonore de l’Harmonie universelle […] et peut nous conduire à la Loi de la Vérité objective qui régit notre cheminement dans le Temps intemporel […]. Elle peut nous unir au Centre de l’Harmonie universelle, c’est-à-dire qu’elle peut contribuer à ce que l’on atteigne le plus haut degré du bonheur humain, de sérénité, d’accomplissement9 ».

Comment cela arrivera-t-il ? Theodorakis croit que « l’Art est l’unique force qui peut nous transmettre la Loi qui détermine l’Harmonie de l’Univers. Qui peut transformer chacun de nous en minuscules systèmes solaires et, en général, en systèmes astraux. De manière à ce que chacun de nous “soit accordé” avec l’Univers qui nous entoure. Que notre harmonie intérieure s’accorde à l’Harmonie universelle. Et qu’on devienne ainsi des molécules vivantes d’une seule et unique Harmonie10 ».

Autrement dit, « l’Art, grâce aux lois harmoniques qui le génèrent, peut, en guidant l’esprit et l’âme de l’homme, les faire mouvoir exactement de la même manière que lui. C’est-à-dire qu’il peut transporter la Loi qui le crée en l’Homme. Mais cette Loi n’est autre que la Loi de l’Univers, de la Création totale. En conséquence, l’initié s’identifie à l’Harmonie universelle. Il vit11 ! »

Le compositeur : de la conquête d’un style individuel à l’engagement social

L’héritage musical de Theodorakis n’est autre que la musique traditionnelle grecque (byzantine et démotique), dont son enfance a été bercée, ainsi que la musique populaire des rébétikas, qu’il écoute pour la première fois lors de son exil à Icarie. Dès lors, l’association de ces deux genres musicaux constitue l’une de ses sources essentielles d’inspiration. Elle est complétée et étayée par les études musicales supérieures de Theodorakis aux Conservatoires d’Athènes et de Paris.

Avant son départ pour la France, certaines de ses compositions sont présentées pour la première fois au public grec, notamment Les Cinq Chansons de Crète et Syrtos Chaniotikos, mais c’est grâce à la création de La Fête d’Assi-Gonia, sous la direction de son maître Philoktitis Oikonomidis, qu’il est reconnu en tant que « jeune compositeur vraiment talentueux » par le fondateur de l’école nationale grecque, Manolis Kalomoiris (article dans Ethnos, 12 mai 1950). C’est également pendant cette période qu’il entame sa collaboration avec le Chorodrame (première compagnie de danse contemporaine en Grèce, fondée en 1952 par Rallou Manou), s’initiant ainsi petit à petit à la musique de ballet.

La période européenne (1954-1960) de Theodorakis se caractérise par une activité intense. D’une part, il essaie de découvrir son « système personnel12 » de composition en étudiant aussi bien la chanson folklorique grecque que les derniers courants de la musique contemporaine, alors quasi inconnus en Grèce. D’autre part, il compose sans relâche : des cycles de chansons (comme Le Cercle, Les Quatre Éluard et Les Six Éluard, des œuvres de musique symphonique (comme le Concerto pour piano ou les *Suite n° 2, Suite n° 3 : La mère*et Suite n° 413), des musiques de film, des musiques de ballet… La Première symphonie14 – dans laquelle se reflète la tragédie de la guerre civile – est son œuvre la plus importante dans cette période ; elle est créée par l’Orchestre national grec en 1955, sous la direction d’Andréas Paridis.

Le grand succès des œuvres pour orchestre qu’il compose pour les films de Michael Powell, Ill Met by Moonlight en 1957 et Honeymoon en 1958, est suivi d’une proposition de Hollywood pour un contrat exclusif en qualité de compositeur de musique de film. Il faut noter que la mélodie de Honeymoon Song, qui accompagne le générique du film, devient, après l’ajout de vers en anglais, un succès international grâce à l’interprétation des Beatles. Sa version espagnole Luna de miel connait un grand succès en Amérique latine et est diffusée lors de l’émission inaugurale de la Radio nationale du Cuba libre. Grâce à cette chanson, Theodorakis est accueilli avec enthousiasme, en 1962, à Cuba, par Fidel Castro et Ernesto Che Guevara.

La principale passion de Theodorakis est toutefois d’écrire pour la danse. Aussi compose-t-il pour les ballets de Ludmilla Tchérina, du Covent Garden (Royal Ballet) et de Stuttgart. L’Antigone présentée en 1959 à Covent Garden (avec Svetlana Beriosova, Leslie Edwards et Rudolf Noureïev) remporte un immense succès avec plus de cent représentations ; le spectacle entre au répertoire du Stuttgart Ballet en 1961.

Malgré ce succès, Theodorakis demeure insatisfait. Il s’interroge sur le rôle de l’art et son rapport avec le peuple. C’est en prenant connaissance de l’œuvre de Yannis Ritsos L’Épitaphe, en 1958, qu’il éprouve soudain le sentiment d’être libéré de ses angoisses liées à l’exil. La mise en musique de l’œuvre va de soi et se fait d’un seul trait. C’est une révélation. Le retentissement de cette œuvre auprès du public lui fait comprendre qu’il ne désire plus composer pour une « élite », ni faire lui-même partie d’une « élite musicale ». Persuadé qu’un artiste doit être « le sismographe le plus sensible de son époque » – pour reprendre les propos de l’écrivain grec Nikos Kazantzakis –, il rêve de créer « une musique sans frontières », destinée aussi bien au peuple qu’à l’élite, à l’homme solitaire qu’à la foule, une musique qui puisse être aussi bien « le murmure de l’ermite que la clameur des hommes15 ».

Influencé aussi bien par l’idéalisme de Dionysios Solomos et de Georg Wilhelm Friedrich Hegel, que par l’idéologie marxiste-léniniste et le modèle de la « révolution culturelle soviétique », Theodorakis rentre en Grèce au début des années 1960. Il prend la tête du « mouvement politico-culturel de renaissance » et se met à créer « une musique pour les masses », où le terme « masse » renvoie non pas à la foule désordonnée, mais au peuple correctement instruit16. Autrement dit, il désire « s’adresser en tant que créateur au citoyen vivant, instruit, préoccupé, responsable, et pas seulement à un groupe de gens peu nombreux, soi-disant initiés, qui […] se placent eux-mêmes au-dessus des autres17 ». Aussi fait-il revivre la notion antique de « l’union du poète, du compositeur et du peuple18 ». Cette démarche étant solidaire d’un engagement social de l’art, Theodorakis met son œuvre explicitement au service de grands idéaux humanistes tels que la paix mondiale, la démocratie et la collaboration des peuples.

La « chanson savante-populaire », une musique pour les masses

La « musique pour les masses », qui contribue à « l’instruction du peuple […] et par conséquent à sa libération », naît du « mariage de la musique traditionnelle et populaire grecque et de la poésie contemporaine néo-hellénique19. Commencer par le genre de la chanson est un choix pédagogique de la part de Theodorakis. Il veut initier progressivement le peuple à la notion de forme, de la chanson isolée jusqu’à des formes musicales nouvelles et plus complexes : cycle de chansons, tragédie musicale populaire contemporaine (dans le sillage de Bertolt Brecht), enfin oratorio populaire et chanson-fleuve, définis par le compositeur comme « musique métasymphonique20 ». Ces formes de la chanson savante-populaire « sont communiquées au peuple à travers un nouveau mode de communication, le Concert populaire21», inspiré des mystères éleusiniens.

Sur le plan mélodique, l’influence de la musique traditionnelle et de la musique populaire grecques, ainsi que celle de la formation classique du compositeur sont évidentes. Mais la recherche de l’authenticité mélodique le conduit également à l’utilisation de nouvelles combinaisons sonores, fruits de la rencontre entre les instruments de l’orchestre populaire et ceux de l’orchestre symphonique. Par exemple, Theodorakis est le premier à avoir introduit le santouri dans l’orchestre symphonique (dans l’oratorio populaire Axion Esti) ; dans la tragédie musicale populaire contemporaine La Ballade du frère mort, le violon, le violoncelle, la trompette et le trombone ont été associés aux instruments de l’orchestre populaire.

Grâce au « mouvement de la chanson savante-populaire », Theodorakis a mis sur toutes les lèvres les vers d’Angelos Sikelianos, Yannis Ritsos, Odysseus Elytis, Paul Éluard, Léopold Sédar Senghor…, jusqu’alors réservés à une élite. Ces chansons, dont plusieurs ont franchi les frontières du pays, restent gravées dans la mémoire collective en Grèce et au-delà, accompagnant les périodes de protestation et de revendications sociales.

Toutefois, ce vaste élan a été brutalement stoppé en 1967 avec la dictature des Colonels. Theodorakis y a réagi en résistant par la parole et la musique, pendant son emprisonnement et son exil. Après sa libération, et depuis la France où il s’était réfugié, il n’a cessé de dénoncer le régime et d’organiser des concerts-manifestations dans le monde entier. Il compose entre autres Nuit de mort (1968), Les Chansons de lutte (1967-1969), Dix- Huit Chansons de la Patrie amère (1972) et le chef d’œuvre de cette période Canto General (1972) d’après Pablo Neruda.

Après la chute de la dictature, malgré le succès de ses œuvres de musique savante-populaire, le mouvement de « la musique pour les masses » faiblit peu à peu. Theodorakis, déçu, s’installe de nouveau à Paris, au début des années 1980, et se recentre sur la musique symphonique, ce qui pour le compositeur est un acte de libération, comme un retour en lui-même. Parmi les œuvres notables de cette période : Symphonie n° 3, Symphonie no 7 dite « Du printemps », La Passion des Sadducéens, Symphonie n° 4 : Des Chorals, Requiem et les opéras : Kostas Karyotakis, Médée-Électre-Antigone (trilogie) et son dernier opéra Lysistrata (2004). Celui-ci, d’après Aristophane, est éminemment antimilitariste, en réaction aux multiples guerres qui se développaient simultanément dans le monde lors de sa composition ; aussi Theodorakis lançait-il un ultime appel à la Paix et à la Solidarité…

L’homme politique, le musicien engagé

L’intensité et la précocité de la prise de conscience politique de Theodorakis, d’abord comme résistant, puis comme communiste, sont loin de n’avoir influencé que sa musique. Il a pris part aux affaires publiques non seulement comme citoyen, mais aussi comme élu et dirigeant politique : député (de 1981 à sa démission en 1986, puis de 1989 à sa démission en 1992) et ministre d’État sans portefeuille (de 1990 à sa démission en 1992). D’autres engagements jalonnent sa carrière : fondation du Mouvement de la Civilisation et de la Paix en 1976 ; organisation du congrès Civilisation et Socialisme (Crète, 1977), auquel participent plusieurs personnalités étrangères comme François Mitterrand, Roger Garaudy et Jacques Attali ; concerts de protestation contre l’usage irraisonné de l’énergie nucléaire (en 1986, suite à Tchernobyl) ; organisation de congrès pour la Paix à Tübingen et à Cologne (en 1988), impliquant personnalités politiques (Oskar Lafontaine, Johannes Rau), écrivains (Friedrich Dürrenmatt) et artistes ; tournées européennes de concerts sous les auspices d’Amnesty International (1990) ; Eurosolar (en faveur de l’énergie solaire) ; manifestations contre l’analphabétisme et la drogue, etc.

Theodorakis a également œuvré au dialogue avec la Turquie : création des commissions pour l’amitié gréco-turque avec la participation de personnalités importantes comme Aziz Nesin et Yachar Kemal (1986) ; concerts en Turquie avec la collaboration du compositeur Zülfu Livaneli, qui interprète ses chansons traduites en turc ; plus tard, il est l’ambassadeur officieux, auprès du gouvernement turc, des Premiers Ministres grecs successifs Andreas Papandréou puis Constantin Mitsotakis. En tant que ministre, il a effectué des visites officielles en Turquie et en Albanie pour défendre les droits de la minorité grecque. En tant que président d’une Commission internationale à Paris, il lutte contre l’incarcération des membres du parti d’opposition turc Koutlou et Sargin, dont il obtient la libération.

Lors de sa tournée en Amérique et au Canada en 1994, qui vise le renforcement du Centre culturel des Grecs de l’étranger, le Sénat le reçoit et lui rend unanimement hommage pour sa contribution culturelle et pour ses combats pour l’Humanité.

En février 1999, il soutient Abdullah Öcalan et la cause kurde. Un mois plus tard, il est l’un des premiers à dénoncer la Guerre du Kosovo et les attaques de l’OTAN contre la Serbie. Il proteste en portant plainte au Tribunal international de La Haye « contre la direction politique et militaire de l’OTAN pour des crimes de guerre commis lors des bombardements du 24 mars et du 1er mai 1999 ». En 2001, il participe à une manifestation contre la guerre en Afghanistan. Il condamne les attaques terroristes contre les États-Unis, mais ajoute que les Américains et leurs alliés « tentent un autre génocide contre l’humanité avec leur attaque en Afghanistan ». Il se joint à la grande manifestation organisée au centre d’Athènes, en février 2003, contre la guerre en Irak. En 2004, il soutient le peuple palestinien aux côtés de Yasser Arafat en organisant un grand concert-manifestation sur la place Syntagma à Athènes.

Deux dates particulièrement importantes ressortent dans l’action sociopolitique de Mikis Theodorakis : la fondation de la « Jeunesse démocratique Lamprakis » (8 juin 1963) et la fondation du « Mouvement des citoyens indépendants / Étincelle » (1er décembre 2010). Ces initiatives ont pris naissance à des moments cruciaux de l’histoire grecque contemporaine, lors de périodes d’instabilité et d’incertitude politiques, sociales, économiques et culturelles profondes. Dans le premier cas, Theodorakis, souhaitant rendre hommage au pacifiste et député de l’E. D. A. (Ενωμένη Δημοκρατική Αριστερά / Gauche démocratique unie) Grigoris Lamprakis, assassiné dans des conditions non élucidées, crée un mouvement dont « le but est d’inciter à la révolte les Grecs de tout âge pour une Grèce plus démocratique où la Justice et la Culture domineront22 ». Dans le deuxième cas, presque cinquante ans plus tard, il cherche de nouveau à réveiller le peuple grec assommé par les décisions socio-économiques imposées par le FMI, la BCE et l’Union Européenne, en fondant un mouvement dont le but principal est « l’indépendance nationale, le peuple dominant, la renaissance patriotique ».

L’étude approfondie des manifestes et des principes défendus par ces deux mouvements, montre qu’ils constituent autant d’expressions de la « théorie de l’Harmonie universelle » définie comme « délivrance personnelle et libération sociale, à travers l’Art, dans le but de conquérir l’Harmonie sociale23 ».


  1. Mikis Theodorakis, Les Chemins de l’archange, Athènes, Kedros, 1986, vol. 1, p. 208
  2. Ιbid., p. 204.
  3. Ιbid., p.135-136.
  4. Mikis Theodorakis, La Dette, Athènes, Pleias, 1974, vol. 1, p. 258.
  5. Kalliopi Stiga, Mikis Theodorakis : le chantre du rapprochement de la musique savante et de la musique populaire, Thèse de Doctorat, Université Lumière-Lyon 2, 2006, vol. 1, p. 62.
  6. Mikis Theodorakis, Où puis-je trouver mon âme ? Art et Civilisation, Athènes, Livanis, 2002, p. 39-41.
  7. Mikis Theodorakis, Poésie mise en musique, Athènes, Ypsilon, 1999, vol. 3, p. 156.
  8. Mikis Theodorakis, Les Chemins de l’Archange, op. cit., p. 99-100.
  9. Mikis Theodorakis, Poésie mise en musique, op.cit., p. 162.
  10. Ibid., p. 151.
  11. Id.
  12. Mikis Theodorakis*, Pour l’art*, Athènes, Papazissis, 1976, p. 100.
  13. La Suite n° 4 est inachevée.
  14. Cette œuvre composée entre 1948 et 1953 en Icarie, où Mikis Theodorakis était exilé, ne doit pas être confondue avec la Symphonie n. 1 qui avait été composée entre 1943 et 1945 à Athènes alors qu’il participait à la Résistance.
  15. Iakovos Kampanellis, « Hommage à Mikis Theodorakis », Ελίτροχος(Elitrochos), Patras, Achaïkes, 8 (1996), p. 38.
  16. Kalliopi Stiga, Mikis Theodorakis : le chantre du rapprochement de la musique savante et de la musique populaire, op. cit., vol. 1, p. 123.
  17. Mikis Theodorakis, Où puis-je trouver mon âme ? Musique, Athènes, Livanis, 2002, p. 261.
  18. Georgios Giannaris, Poésie mise en musique et Œuvres musicales, Athènes, Théoria, 1985, p. 53.
  19. Mikis Theodorakis, Musique pour les masses, Athènes, Olkos, 1972, p. 22.
  20. « La différence entre la musique métasymphonique et la musique symphonique apparaît à travers l’existence, dans la musique métasymphonique, des éléments suivants : a) chanson populaire, b) instruments traditionnels et chanteurs populaires, c) instruments symphoniques, d)  chœurs, e) texte poétique savant » (MikisTheodorakis, Anatomie de la musique, Athènes, Sychroni Epohi, 1983, p. 36).
  21. Mikis Theodorakis, Musique pour les masses, op.cit., p. 23.
  22. Kalliopi Stiga, Mikis Theodorakis : le chantre du rapprochement de la musique savante et de la musique populaire, op.cit., vol. 1, p. 100.
  23. Mikis Theodorakis, Les Chemins de l’archange, op. cit., p. 142.
© Ircam-Centre Pompidou, 2016


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