C'est en été 1921 que j'ai fait cette transcription de Petrouchka. Mon intention était de donner aux virtuoses du clavier une pièce d'une certaine envergure qui leur permettrait de compléter leur répertoire moderne et de faire briller leur technique. Ce travail me passionna beaucoup. Etant pianiste moi-même, je m'intéressais surtout à l'écriture spéciale que demande une œuvre conçue à l'origine pour le piano, ainsi qu'aux multiples richesses sonores que nous offre la nature polyphonique de cet instrument. Petrouchka se prêtait d'autant mieux à une pareille transcription que, dans son idée initiale, ce morceau avait été conçu comme une pièce de piano avec orchestre, et que dans la partition même de l'œuvre, le piano joue un rôle important. Si j'emploie ici le terme courant transcription, je tiens toutefois à prévenir un malentendu. Qu'on ne pense surtout pas que j'ai voulu donner avec le piano un ersatz de l'orchestre et rendre, dans la mesure du possible, la sonorité de ce dernier. Au contraire, je me suis efforcé de faire de ce Petrouchka une pièce essentiellement pianistique en utilisant les ressources propres à cet instrument et sans lui assigner en aucune façon un rôle d'imitateur. Bref, qu'on n'y voit pas une réduction pour piano, mais bel et bien une pièce écrite spécialement pour le piano, autrement dit, de la musique de piano... La pièce débute par un Allegro qui, dans le ballet, est la Danse Russe des trois pantins, par laquelle se termine le premier tableau. Ce mouvement est suivi de la scène intitulée Chez Petrouchka. C'est précisément de ce tableau composé par moi en premier lieu, qu'est sortie l'œuvre que vous connaissez sous le titre Petrouchka, scènes burlesques en 4 tableaux. Pour le troisième mouvement, j'ai pris une grande partie de la musique du quatrième tableau. C'est d'abord, le brouhaha de la foule en liesse, le tintamare de la fête foraine brusquement interrompue par une série de divertissements. Parmi ceux-ci vous retrouverez, tour à tour, la ronde des nourrices, l'entrée des tziganes enjôlant le marchand fêtard, les cochers entraînant les nourrices dans leurs danses massives ; finalement, les déguisés et les masques avec l'apparition desquels l'allégresse générale atteint son apogée. C'est par là que se termine cette composition qui n'oublions pas revêt une forme exclusivement musicale et où l'action dramatique n'entre pas en ligne de compte.
Igor Stravinsky, « Quelques confidences sur la musique », conférence faite à Paris le 21 novembre 1935, programme du Festival d'Automne à Paris, 1980