Depuis la Sonate pour violon et violoncelle (1920), Ravel parlait souvent de «dépouillement» et de «simplicité» à propos de ses oeuvres vocales ou de chambre. Cette sorte d'épuration va de pair dans la Sonate pour violon et piano avec une indépendance des parties que le compositeur avait déjà soulignée à propos de ses Chansons madécasses : «Je me suis imposé cette indépendance en écrivant une Sonate pour piano et violon, instruments essentiellement incompatibles, et qui, loin d'équilibrer leurs contrastes, accusent ici cette même incompatibilité».Les rencontres harmoniques entre violon et piano se font ainsi souvent dissonantes dans le premier mouvement et, surtout, dans le début du deuxième, où l'on a une véritable musique «à deux étages» (avec deux armatures différentes à la clé) qui fonctionne pourtant très bien ! L'ombre de Béla Bartok et de ses deux Sonates pour violon et piano (1921-1922) n'est sans doute pas étrangère.Au delà de l'admirable facture formelle de l'oeuvre - somme toute assez traditionnelle, avec rappels thématiques des deux premiers mouvements dans le troisième -, un geste mérite d'être dégagé, qui peut aussi rappeler Bartok : l'hommage à une autre culture dans le second mouvement. Ravel a montré à plusieurs reprises son intérêt pour les musiques américaines - il a affirmé en 1928 à Houston l'intérêt du Blues devant un auditoire américain -, mais ce mouvement central de la Sonate illustre peut-être sa plus grande réussite du point de vue de l'intégration, de la «stylisation minutieuse» d'un matériau étranger à son propre style. Parallèlement à quelques cas chez Bernd Alois Zimmermann, ce Blues témoigne d'une attitude des plus intéressantes et respectueuses face à une musique que d'autres n'ont fait que caricaturer !
Pierre Michel, programme "Allemagne 1946", février 1996, Cité de la Musique, Ensemble Intercontemporain