L'art du prélude non mesuré, propre au XVIIe et au début du XVIIIe siècles français, pose de manière tout à fait originale la question du rapport de l'écrit à l'interprétation. Dans cette forme si particulière, on pourrait être tenté de voir des sortes d'improvisations notées, réécrites. Cela a sans doute été vrai, au début, lorsque le clavecin s'était emparé du modèle d'écriture à l'origine conçu au luth, mais le passage à l'instrument à clavier s'est effectué au prix d'une inventivité harmonique et de tournures idiomatiques qui portent la marque de la réflexion et de l'écriture.
Il est troublant d'observer comment deux compositeurs de génie, Louis Couperin et Johann Jakob Froberger ont noté une musique identique à l'aide d'écritures apparemment antagonistes : une écriture non mesurée proprement dite chez Couperin, une écriture très méticuleusement mesurée chez Froberger, mais destinée par l'auteur à être jouée « avec discrétion », — l'expression « avec discrétion » renvoie non pas à la retenue, mais au discernement, comme dans l'expression « à volonté » — c'est-à-dire souplesse et extrême flexibilité, comme c'est le cas dans la Déploration sur ma mort future, ouvrant la XXe suite.
J'ai voulu pour ma part imaginer une solution où cohabitent l'expressivité souple et déroutante de Louis Couperin et le principe d'une notation mesurée extrêmement rigoureuse et complexe, à un point tel que le recours à la « discrétion » demandée par Froberger n'a plus lieu d'être puisque faisant partie intégrante du discours musical écrit.
Les Six Préludes ont été composés puis immédiatement travaillés au clavecin durant l'été 1999.
Brice Pauset.