L’île de North Sentinel, dans le golfe du Bengale, abrite l’une des dernières populations qui restent isolées de la civilisation moderne. Rejetant tout contact avec autrui, ceux que nous appelons les Sentinelles portent avec eux l’image d’une humanité immuable, qui ne souscrit pas à cette ligne du temps politique et technologique que nous connaissons. Pour exister, la dimension originelle, sinon sauvage, des Sentinelles passe par un comportement violent à l’égard de quiconque s’approcherait trop de leur territoire : en somme, nous pouvons y voir un acte de résistance d’un monde sur un autre, d’un espace sur un temps. En proposant l’union du paradigme électrique avec celui de l’instrument, la musique mixte porte en elle un potentiel de dualité entre la concrétude des corps et l’abstraction technologique. Dans Sentinelle Nord, j’ai voulu que les haut-parleurs ne soient habités que par des sons de synthèse, agissant dans un constant rapport de mimesis avec la matière instrumentale. Surtout, cette entité synthétique allait devoir gagner son propre espace depuis la scène, cherchant à prolonger les hauteurs et énergies instrumentales jusque dans la salle, pour finir par y établir le lieu de son autonomie. Dans une dialectique sous tension, cette lutte pour le détachement ou pour le refus de disparaître trouvera résonance dans l’image martiale de la sentinelle, tandis que la technologie portera toujours l’idée d’un futur : l’idée d’un Nord.
Florent Caron Darras, note de programme du concert du 22 juin 2019 au Centquatre-Paris.