Einspielung I est dédiée à ma fille Martha. Einspielung, mot assez peu usité en allemand, a diverses acceptions. La première indique « une allusion à … » La seconde est plus spécifique à la musique et surtout à la musique électronique : Einspielband est en effet le nom qu’on donne à la bande électronique qui sera jouée en même temps qu’un orchestre, par exemple. Enfin, dans sa forme réflexive, le verbe sich einspielen signifie « s’échauffer avant de jouer » : quelqu’un qui va jouer d’un instrument, ou sur une scène de théâtre, doit s’échauffer. Mais cet échauffement n’est pas un exercice purement mécanique et gratuit, séparé de l’intention : il s’agit de s’échauffer dans l’intention de jouer immédiatement après.
C’est la première des trois Einspielungen. C’est aussi ma première pièce destinée à un instrument polyphonique qui ne soit pas le piano. Celui-ci mis à part, je m’étais auparavant toujours refusé à écrire une pièce solo. J’ai toujours pensé, en effet, qu’il fallait arriver, dans une œuvre pour instrument seul, à une certaine thématisation du matériau, et ne pas se limiter à une simple succession de notes, si sophistiquée soit-elle. Dans mon idée, le solo devait présenter de nombreux recouvrements motiviques pour une cohérence musicale qui dépasserait la simple chronologie du déroulement. Si vous comparez les déroulements globaux des trois Einspielungen, on constate qu’ils sont très différents les uns des autres. J’avais, au départ, l’intention d’écrire neuf Einspielungen, avec trois types de pièces de facture très différente, se déclinant pour chacun des trois instruments considérés : violon, alto et violoncelle. Il devait donc y avoir une deuxième pièce pour violon, à la manière d’Einspielung II, et une troisième, à la manière d’Einspielung III, et ainsi de suite – mais j’ai changé d’avis et n’ai écrit qu’une pièce de chaque groupe. Celle pour violoncelle (Einspielung II) est sans doute la plus labyrinthique et donc, du point de vue de la perception, la plus cryptique – et la moins évidente. La pièce pour alto (Einspielung III) est moins articulée dans sa forme que celle pour violon et, du point de vue mélodique, beaucoup plus élancée – la lancée mélodique y est plus vaste. La pièce pour violon est plus resserrée, plus encadrée d’une partie à une autre. Son découpage est beaucoup plus net, ce qui lui confère une forte prégnance mélodique et formelle.
Emmanuel Nunes, festival Agora 2011.