Les poèmes de Beckett, Ungaretti et Rilke constituent un cycle pour voix et ensemble instrumental que j'ai débuté lors de la Session de composition Voix Nouvelles 1994, et poursuivi à la demande de l'ensemble Contrechamps et du Festival d'Automne à Paris. Il s'agit d'un hommage à la langue française, tous les poèmes étant écrits dans leur version originale en français par des écrivains non français. Le langage « visible » de ces textes se noue secrètement à un « langage-ombre », la langue maternelle du poète : il serait donc réducteur de parler de traduction, quant à cette démarche oscillante entre le français et une autre langue. Elles sont étroitement liées dans l'imaginaire du poète et se reflètent mutuellement, « le lieu du sens naissant dans l'entre-langue » (Jean-Charles Vegliante). Situation semblable à celle du compositeur qui met un texte en musique ? Attiré par les forces opposées de la musique et de la poésie, il ne peut se limiter à faire passer la parole dans le son. Il doit rassembler l'énergie contradictoire de ces deux domaines qui, chacun se faisant face, réclament leur autonomie.
1.
Chemins qui ne mènent nulle part
entre deux prés,
que l'on dirait avec art
de leur but détournés,
chemins qui souvent n'ont
devant eux rien d'autre en face
que le pur espace
et la saison.
Rainer Maria Rilke, Les Quatrains Valaisans, 31e poème.
2.
Voici encor[e] de l'heure qui s'argente,
mêlé au doux soir, le pur métal
et qui ajoute à la beauté lente
les lents retours d'un calme musical.
L'ancienne terre se reprend et change :
un astre pur survit à nos travaux.
Les bruits épars, quittant le jour, se rangent
et rentrent tous dans la voix des eaux.
Rainer Maria Rilke, Les Quatrains Valaisans, 24e poème.
Stefano Gervasoni.