Les 7 chants correspondent à la narration de l'histoire du roman de Tanizaki par le seul personnage du roman, Ikuko. Les Trois chants cruels sont tirés de l'opéra La confession impudique écrit d'après le célèbre roman de l'écrivain japonais J. Tanizaki. En voici l'argument principal : un mari, très vieillissant, ne peut plus satisfaire son épouse beaucoup plus jeune que lui. Il utilise toutes sortes de médications et de subterfuges pour pallier sa défaillance. Il décide de commencer un journal intime qu'il feint de cacher à sa femme. Son épouse, Ikuko, agit de même et chacun prétend ne pas lire le journal de l'autre, le fait malgré tout, et sait que l'autre le sait. Par journal interposé, le mari parvient à jeter sa femme dans les bras de son futur gendre, Kimura, censé épouser leur fille unique Toshi-ko. Cette dernière joue d'ailleurs « l'entremetteuse » pour les amants. Ce procédé permet au mari, excité par sa jalousie, de continuer à répondre, malgré son épuisement, aux appétits de son épouse. Usé par ces excès, il succombe. Son mari mort, Ikuko achève son journal devenu inutile, et se prépare à suivre le plan de Kimura qui, pour sauver les apparences, épousera la fille Toshi-ko, pour cacher la réelle relation avec la mère.
Dans l'adaptation réalisé par Daniel Martin, le personnage d'Ikuko apparaissait parfois en veuve (par un procédé rappelant le flash-back), comme s'il s'agissait du dernier jour de l'histoire. Dans ces situations, le personnage s'exprime alors directement au public, comme à un confident imaginaire, avec des mots simples, quotidiens, avec toute sa retenue, sa gêne, sa mauvaise foi aussi et parfois ses excès. Cela m'a permis, par la nature même du texte, d'inventer d'autres types de déclamations bien loin de ce qui est convenu d'appeler la « tradition française ».
S'agissant du type d'élocution qui est choisi, on remarquera les nombreux déplacements d'accents, les importants changements de registre, des procédés quasi « naturalistes » (faire chanter par exemple les « e » muets de l'hésitation) ou au contraire poser sur de larges phrases lyriques, des mots simples et quelquefois désuets.
Bernard Cavanna.
L’œuvre est tirée de l’opéra La confession impudique, d’après le roman homonyme de Tanizaki Junichiro, une version moderne (plutôt qu’orientale) des Liaisons dangereuses, puisque l’écrit intime (lu ici, volontairement ou non, par les époux) est le ferment de l’intrigue. Dans les Trois Chants cruels, seule l’héroïne est présente.
Ce cycle – suite d’orchestre avec voix - s’inscrit délibérément dans la grande tradition française, parce qu’après Rameau, Berlioz et surtout Claude Debussy, il veut réinventer la diction musicale de l’idiome national. Ce qui s’entend ici, mais peut-être moins que dans la Messe, un jour ordinaire du même compositeur, c’est une volonté de prendre en compte la parole quotidienne, avec toutes les hésitations qui peuvent la traverser – aussi ses banalités, et ses résolutions, plus ou moins fertiles.
Par ailleurs – mais cela n’est pas forcément paradoxal – la place de la soliste face à l’orchestre, et mieux encore le rôle que celui-ci est amené à jouer n’ont que peu à voir avec la tradition qu’on a signalée. La brutalité des interventions instrumentales, la trivialité de certains accords ou de certaines tournures ne peuvent s’inscrire dans cette lignée d’élégance, de clarté et de pudeur, qui court indubitablement de Debussy à Pierre Boulez, en passant bien entendu par Henri Dutilleux. Dans ce cas précis, on ne pourra trouver qu’un seul ancêtre digne du compositeur qui nous intéresse : Alban Berg, pour ses Trois Pièces d’orchestre, pleines presque avant l’heure du fracas qui fit trembler les tranchées, un peu aussi pour ses Altenberg-Lieder et sa Lulu-Suite (à cause de l’érotisme qui s’y déclara) – sans oublier les belles impudeurs de Berlioz, amateur lui aussi de crudité, qui trouva quelques oreilles attentives à sa musique, et de poids, au-delà du Rhin. Bref, ces Chants cruels, sur ce versant, pourraient être germaniques.
De France, ou d’ailleurs peu importe, voici un portrait où la psychologie féminine est admirablement dépeinte. (En disant cela, nous faisons référence bien entendu à l’archétype.) Tout ce qui traverse l’âme de l’héroïne – hésitations, renoncements et résolutions, attendrissements et désir de cruauté – vient animer la partition et c’est de l’alternance de ces pulsions contraires que naît le rythme propre de l’œuvre.
Dominique Druhen.