Notre audition est bien équipée pour analyser un son en termes du paradigme excitation/résonance : elle peut faire la part entre les aspects agogique et structurel (en temps et hors temps). Sans être une étude systématique, l'œuvre utilise essentiellement des matériaux sonores naturels ou synthétiques se référant à des processus de résonance : percussions et cordes pincées (vibrations libres de solides excités), cuivres et trompes (vibrations forcées de masses d'air), filtrages résonants, réverbération.
L'adjectif résonant évoque aussi des réactions toutes particulières à des sons ou à des évènements. La pièce cite des éléments sonores qui éveillent en moi des résonances : variantes du son de cloche initial du Poème électronique de Varèse au début et à la fin de l'œuvre, percussions issues de l'instrumentarium de Thierry Miroglio, motifs joués par Denise Mégevand, Irène Jarsky, Michel Portal et Serge Conte, concerts symphoniques de cloches organisés by Llorenc Barber.
La durée totale de la pièce est d'environ 14 mn 30 s. Les titres proposés pour chacune des cinq sections font référence au matériaux ou aux processus invoqués – parfois illusoires ou « virtuels » : ainsi le carillon du cinquième mouvement comporte essentiellement des sons de synthèse. Voici ces titres :
1. Cloches, cuivres, métal (2mn45s). Cette section recourt surtout à des sons enregistrés, auxquels sont appliqués des traitements assez simples : changements de fréquence, parfois sans changement de durée, renversements temporels. Au début, on entend trois variantes par resynthèse du son de cloche ouvrant le Poème électronique de Varèse, à partir d'une analyse réalisée par Vincent Verfaille.
2. Filtres (2mn52s). Après un début où des appels de cuivres se répondent, un écho filtré introduit un tuilage d'arpèges variés de clarinette montant vers un la, un si ou un fa, entendus à travers des filtres résonnants accordés à certaines harmonies. À la fin, deux percussions fixes introduisent un motif de flûte, vif dans son articulation comme dans sa rotation, et un appel du "genre oiseau" s'éloigne lentement.
3. Plectres (1mn54s). Grâce à la commande par ordinateur du mouvement des marteaux et des étouffoirs, le piano mécanisé Yamaha Disklavier du Laboratoire de mécanique et d'acoustique du CNRS à Marseille aide à produire les sons par des actions directes sur les cordes, à la façon d'un plectre, et à faire du piano une variante de la harpe. Le placement des doigts à certains endroits sur la corde inhibe certains partiels et renforce d'autres.
4. Reverbéré (3mn17s). Foules, cris et rires, rumeurs, cymbales, chœurs, voix, orgue, dans une vaste réverbération lentement mobile. La section se conclut sur les lointaines explosions d'un désastre obscur.
5. Cloches, trompes (3mn40s). Scandé par des appels de trompes de bateaux, la cinquième section se souvient du livre d'Aragon Les cloches de Bâle : à des enregistrements ou reconstitutions de cloches matérielles répond un carillon virtuel de sons de synthèse. Ce carillon déploie des structures composées hors temps réel il y a vingt cinq ans, et qui peuvent être invoquées par des gestes en temps réel pour donner lieu à des sons du genre cloches aussi bien qu'à des textures fluides ou rebondissantes.
Resonant Soundscapes a été réalisé à Marseille sur mon ordinateur portable Macintosh G3. J'ai utilisé les logiciels suivants : MaxMSP, ProTools, Sound Hack, Peak, MusicV. La réalisation de cette pièce sur support (pour « bande ») a utilisé des outils – MaxMSP et le piano Yamaha Disklavier – permettant le contrôle des sons en direct. Ainsi le second mouvement utilise des filtres résonants temps réel accordés à certaines harmonies ; le cinquième déploie des structures inharmoniques que j'avais composées hors temps réel il y a vingt cinq ans, et qui ont été reconstituées en temps réel : elles peuvent désormais être invoquées par des gestes pour donner lieu à des sons du genre cloches aussi bien qu'à des textures fluides ou rebondissantes. J'ai enregistré certains sons sur le piano Yamaha Disklavier du Laboratoire de Mécanique et d'Acoustique du CNRS à Marseille, commandant par ordinateur le mouvement des marteaux et des étouffoirs, et modifiant les sons en agissant directement sur les cordes.
Il existe de cette œuvre une variante spatialisée sur 8 pistes, Resonant Sound Spaces, réalisée en 2002 au Groupe de Musique Expérimentale de Marseille (GMEM) en tirant parti du système de spatialisation Holophon de Laurent Pottier.
Je tiens à remercier chaleureusement Denis Lorrain, Antonio Souza Dias et tout spécialement Daniel Arfib. Je remercie également Vincent Verfaille et Jérôme Decque.
Jean-Claude Risset.