Spaces (Espaces résonants) est une « mise en espace » de Resonant Soundscapes (Paysages résonants), œuvre commandée en 2001 par la ville de Bâle et dédiée à Gerald Bennett. La version spatialisée sur 8 pistes a été réalisée au Groupe de Musique Expérimentale de Marseille (GMEM) en tirant parti du système de spatialisation Holophon de Laurent Pottier. L'œuvre peut aussi être présentée en 4 pistes et en 6 pistes, format 5.1 (les mouvements 2,3 et 5 ont été enregistrés dans ce dernier format).
Notre audition est bien équipée pour analyser un son en termes du paradigme excitation/résonance : elle peut faire la part entre les aspects agogique et structurel (en temps et hors temps). Sans être une étude systématique, l'œuvre utilise essentiellement des matériaux sonores naturels ou synthétiques se référant à des processus de résonance : percussions et cordes pincées (vibrations libres de solides excités), cuivres et trompes (vibrations forcées de masses d'air), filtrages résonants, réverbération.
L'adjectif résonant évoque aussi des réactions toutes particulières à des sons ou à des évènements. La pièce cite des éléments sonores qui éveillent en moi des résonances : variantes du son de cloche initial du Poème électronique de Varèse au début et à la fin de l'œuvre, percussions issues de l'instrumentarium de Thierry Miroglio, motifs joués par Denise Mégevand, Irène Jarsky, Michel Portal et Serge Conte, concerts symphoniques de cloches organisés by Llorenc Barber.
La spatialisation transformant les paysages en espaces sonores – de soundscapes à sound spaces – a été effectuée sur les sessions Pro Tools multipistes, c'est-à-dire en partant de la multiplicité des sources sonores originelles avant leur mélange en stéréophonie. La dissémination spatiale des sons accentue le relief au sens propre comme au sens figuré, elle augmente la capacité de l'écoute à démêler le fouillis des composantes simultanées, facilitant pour l'auditeur une exploration personnelle du territoire sonore proposé, mais elle propose aussi des figures spatiales.
La durée totale de la pièce est d'environ 14 mn 30 s. Les titres proposés pour chacune des 5 sections font référence au matériaux ou aux processus invoqués – parfois illusoires ou « virtuels » : ainsi le carillon du cinquième mouvement comporte essentiellement des sons de synthèse. Voici ces titres :
1. Cloches, cuivres, métal (2mn45s). Cette section recourt surtout à des sons enregistrés, auxquels sont appliqués des traitements assez simples : changements de fréquence, parfois sans changement de durée, renversements temporels. Au début, on entend trois variantes par resynthèse du son de cloche ouvrant le Poème électronique de Varèse, à partir d'une analyse réalisée par Vincent Verfaille. La spatialisation situe l'origine des sons divers dans divers lieux – elle ne suggère qu'exceptionnellement des mouvements de sources sonores.
2. Filtres (2mn52s). Après un début où des appels de cuivres se répondent, un écho filtré introduit un tuilage d'arpèges variés de clarinette montant vers un la, un si ou un fa, entendus à travers des filtres résonnants accordés à certaines harmonies. Le sentiment de giration est renforcé par des rotations spatiales, dans le sens des astres pour les motifs aboutissant au fa et dans l'autre sens pour les autres. À la fin, deux percussions fixes introduisent un motif de flûte, vif dans son articulation comme dans sa rotation, et un appel du « genre oiseau », qui s'éloigne lentement autour des auditeurs.
3. Plectres (1mn54s). Grâce à la commande par ordinateur du mouvement des marteaux et des étouffoirs, le piano mécanisé Yamaha Disklavier du Laboratoire de mécanique et d'acoustique du CNRS à Marseille aide à produire les sons par des actions directes sur les cordes, à la façon d'un plectre, et à faire du piano une variante de la harpe. Le placement des doigts à certains endroits sur la corde inhibe certains partiels et renforce d'autres. La spatialisation tente de suggérer l'extension des résonances sur des tables d'harmonie de grandes dimensions.
4. Reverbéré (3mn17s). Foules, cris et rires, rumeurs, cymbales, chœurs, voix, orgue, dans une vaste réverbération lentement mobile. La section se conclut sur les lointaines explosions d'un désastre obscur.
5. Cloches, trompes (3mn40s). Scandé par des appels de trompes de bateaux, la cinquième section se souvient du livre d'Aragon Les cloches de Bâle : à des enregistrements ou reconstitutions de cloches matérielles répond un carillon virtuel de sons de synthèse. Ce carillon déploie des structures composées hors temps réel il y a vingt cinq ans, et qui peuvent être invoquées par des gestes en temps réel pour donner lieu à des sons du genre cloches aussi bien qu'à des textures fluides ou rebondissantes. La spatialisation remplit l'espace en démultipliant les sources et en les dématérialisant par des mouvements illusoires.
Resonant Soundscapes a été réalisé à Marseille sur mon ordinateur portable Macintosh G3. J'ai utilisé les logiciels suivants : MaxMSP, ProTools, Sound Hack, Peak, MusicV. La réalisation de cette pièce sur support (pour « bande ») a utilisé des outils – MaxMSP et le piano Yamaha Disklavier – permettant le contrôle des sons en direct. Ainsi le second mouvement utilise des filtres résonants temps réel accordés à certaines harmonies ; le cinquième déploie des structures inharmoniques que j'avais composées hors temps réel il y a vingt cinq ans, et qui ont été reconstituées en temps réel : elles peuvent désormais être invoquées par des gestes pour donner lieu à des sons du genre cloches aussi bien qu'à des textures fluides ou rebondissantes. J'ai enregistré certains sons sur le piano Yamaha Disklavier du Laboratoire de Mécanique et d'Acoustique du CNRS à Marseille, commandant par ordinateur le mouvement des marteaux et des étouffoirs, et modifiant les sons en agissant directement sur les cordes. La spatialisation de Resonant Sound Spaces a été effectuée sur les ordinateurs du Groupe de Musique Expérimentale de Musique de Marseille à l'aide des outils spécifiques mis en œuvre par Laurent Pottier, notamment le logiciel Holophon.
Je tiens à remercier chaleureusement Denis Lorrain, Antonio Souza Dias et tout spécialement Daniel Arfib et Laurent Pottier. Je remercie également Vincent Verfaille et Jérôme Decque.
Jean-Claude Risset.