Formazioni nécessite un grand orchestre symphonique « habituel » bien que cela suppose des relations et des hiérarchies internes « inhabituelles » entre instruments pour ce type de formation. De ces dispositions déjà anciennes, Berio a tiré des conséquences toutes nouvelles. Depuis Tempi concertati (1958-1959), il s’était intéressé aux rapports entre les instruments, particulièrement ceux qui avaient trait aux caractéristiques acoustiques plus qu’à leurs parallèles techniques et mécaniques. L’orchestre symphonique tel qu’il s’est constitué au cours des derniers siècles, s’est fondé sur les familles d’instruments tels que les bois, les cuivres ou les cordes ; ces dernières prirent valeur du plus important « instrument ». À l’intérieur même de cette famille, il faut aussi compter avec la répartition des sopranos, altos, ténors et voix de basses de la polyphonie baroque. Mais – et c’est le propos de Berio –, est-ce que dans certaines circonstances un alto et une contrebasse n’auraient pas moins en commun qu’un alto et une flûte ? Y a-t-il réellement moins de parenté acoustique entre le cor et la trompette qu’entre une trompette bouchée et un hautbois ou un cor anglais ?
C’est à cela – et à d’autres interrogations – que touche Formazioni. Les relations internes entre les traditionnelles familles d’instruments et leur répartition sont abordées différemment. Pour cette raison, le placement du plateau est inhabituel. Devant à gauche, et derrière à droite se tiennent les bois, pendant qu’au milieu de l’orchestre – à droite et à gauche – sont placés les cuivres. Un groupe très important de cinq clarinettes et de contrebasses, est localisé sur le devant, au milieu de l’orchestre, entouré de violons et d’altos. Au sein même des cordes – « qui sont souvent le ciment caché de l’orchestre » – ainsi désignées par Berio, s’effacent les violons, au profit des contrebasses (placées devant et à droite). On observe ainsi la tendance qui consiste à placer les instruments graves vers le devant, les plus aigus vers l’arrière. La conséquence de cette « géographie orchestrale » aboutit à une nouvelle perspective essentielle. Déjà au cours de l’expérimentation de Coro (1974-1976) où chacun des quarante chanteurs qui étaient assujettis à un instrument spécifique, Berio avait étudié la signification des diverses relations spatiales instrumentales. De même dans Voci (1984-1985), pour alto et deux groupes d’instruments, furent développées de nouvelles balances acoustiques et musicales. Le compositeur lui-même parle d’une « composition orchestrale qui s’élabore autour de diverses musiques de chambre qui s’intensifient à l’extrême ».
Pour cette raison, une direction de Formazioni relève d’une mission difficile aussi bien dans le jeu individuel que dans l’interprétation collective. Souvent des groupes d’instruments apparaissent par-dessus la tête d’autres musiciens, qui ont à jouer une partie de solo, et qui, alors, entrent en conflit les uns avec les autres ; au niveau de la forme, Formazioni représente (du point de vue technique et expressif on devrait plus précisément parler de la « Formation de Formazioni ») un autre concept musical de l’idée que se fait Berio sur la créativité en tant que synthèse de procédures déductives et soustractives par opposition aux procédures additives. Dans Formazioni, cette conception du « filtrage » s’exprime par un constant modèle de proportions. Pourquoi le titre de Formazioni ? Ces « formations de formes » peuvent se décrire comme une stratégie de rapports mutuels de « formations militaires », mais aussi comme superpositions géologiques de couches musicales homogènes entre elles.
D’après Willem Vos, 1990.