Gérard Grisey (1946-1998)
Vortex Temporum I, II, III (1994 -1996)
pour piano et cinq instruments
[Tourbillon de Temps]
- Informations générales
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Date de composition :
1994 - 1996
- Durée : 40 mn
- Éditeur : Ricordi, nº R. 2714
- Commande : Ministère de la Culture, France ; Land Baden-Würtemberg, radio de Cologne (WDR) ; Festival Musica, Strasbourg ; avec l'aide de la Fondation Henry Clews et de la Fondation des Treilles
- Dédicace : 1er mouvement : à Gérard Zinsstag, 2e mouvement : à Salvatore Sciarrino, 3e mouvement : à Helmut Lachenmann
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Date de composition :
1994 - 1996
- Genre
- Musique de chambre [Sextuor et plus de vents, clavier(s) et cordes]
- flûte, clarinette, piano, violon, alto, violoncelle
Information sur la création
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Date :
26 avril 1996
Lieu :Allemagne, Witten, Festival
Interprètes :l'ensemble Recherche, direction : Kwamé Ryan.
Note de programme
Abolir le matériau au profit de la durée pure est un rêve que je poursuis depuis de nombreuses années. Vortex Temporum n'est peut-être que l'histoire d'un arpège dans l'espace et dans le temps, en-deçà et au-delà de notre fenêtre auditive et que ma mémoire a laissé tourbillonner au gré des mois dévolus à l'écriture de cette pièce.
Eléments d'analyse
Vortex Temporum (Tourbillon de temps) définit la naissance d'une formule d'arpèges tournoyants et répétés et sa métamorphose dans différents champs temporels. J'ai tenté ici d'approfondir certaines de mes recherches récentes sur l'application d'un même matériau à des temps différents.
Trois Gestalt sonores :
- un événement originel (l'onde sinusoïdale) et deux événements adjacents (l'attaque avec ou sans résonance et le son entretenu avec ou sans crescendo)
- trois spectres différents : harmonique, inharmonique « étiré » et inharmonique « comprimé »
- trois temps différents : ordinaire, plus ou moins dilaté et plus ou moins contracté... tels sont les archétypes qui président à Vortex Temporum.
Outre la formule tourbillonnaire initiale directement issue de Daphnis et Chloé, le vortex m'a suggéré une écriture harmonique centrée sur les quatre notes de la septième diminuée, accord rotatif par excellence. En effet, en considérant tour à tour chaque note de l'accord comme note sensible, il permet de multiples modulations. Bien entendu, il ne s'agit pas ici de musique tonale, mais bien plutôt de saisir ce qui dans son fonctionnement est encore aujourd'hui actuel et novateur. Ainsi, cet accord est ici à l'intersection des trois spectres précédemment décrits et en détermine les différentes transpositions. Il joue donc un rôle nodulaire dans l'articulation des hauteurs de Vortex. On le retrouve littéralement inscrit dans les quatre fréquences du piano accordées un quart de ton plus bas. Cette atteinte au sacro-saint tempérament du piano rendant à la fois possible une distorsion du timbre de l'instrument et une meilleure intégration aux différents micro-intervalles nécessaires à la pièce.
Dans Vortex Temporum, les trois archétypes précités vont circuler d'un mouvement à l'autre dans des constantes de temps aussi différents que celui des hommes (temps du langage et de la respiration), celui des baleines (temps spectral des rythmes du sommeil) et celui des oiseaux ou des insectes (temps contracté à l'extrême où s'estompent les contours). Ainsi, grâce à ce microscope imaginaire, une note devient timbre, un accord devient complexe spectral et un rythme une houle de durées imprévisibles.
Trois mouvements
- Les trois sections du premier mouvement, dédié à Gérard Zinsstag, développent trois aspects de l'onde originelle, bien connus des acousticiens : l'onde sinusoïdale (formule tourbillonnaire), l'onde carrée (rythmes pointés) et l'onde en dents de scie (solo de piano). Elles déroulent un temps que je qualifierais de jubilatoire, temps de l'articulation, du rythme et de la respiration humaine. Seule la section de piano nous porte aux limites de la virtuosité.
- Le deuxième mouvement, dédié à Salvatore Sciarrino, reprend un matériau identique dans un temps dilaté. La Gestalt initiale s'entend ici une seule fois, étalée sur toute la durée du mouvement. J'ai cherché à créer dans la lenteur une sensation de mouvement sphérique et vertigineux. Les mouvements ascendants des spectres, l'emboitement des fondamentaux en descentes chromatiques et les filtrages continus du piano génèrent une sorte de double rotation, un mouvement hélicoïdal et continu qui s'enroule sur lui-même.
- Au premier mouvement qui développe dans la discontinuité les différents types ondulatoires, le troisième mouvement, dédié à Helmut Lachenmann, oppose un long processus permettant de créer entre les différentes séquences les interpolations qui paraissaient impensables. La continuité s'impose peu à peu et avec elle, le temps dilaté devenu une sorte de projection à grande échelle des événements du premier mouvement. La métrique déjà malmenée au cours du premier mouvement est ici souvent noyée dans le vertige de la durée pure. Les spectres à l'origine du discours harmonique et déjà développés dans le second mouvement s'étalent ici afin de permettre à l'auditeur d'en percevoir la texture et de pénétrer dans une autre dimension temporelle. Le temps contracté fait aussi son apparition sous la forme de saturations fulgurantes et permet de réentendre à une autre échelle les séquences du troisième mouvement.
Entre les différents mouvements de Vortex Temporum sont prévus de courts interludes. Les quelques souffles, bruitages et ombres sonores qu'on y entend sont destinés à colorer discrètement le silence malhabile et quelquefois même la gêne involontaire des musiciens et des auditeurs qui reprennent leur souffle entre deux mouvements. Ce traitement du temps de l'attente, ce pont jeté entre le temps de l'auditeur et celui de l'œuvre n'est pas sans rappeler ceux de Dérives, de Partiels ou de Jour, Contre-jour. Ici, bien entendu, ces quelques bruits ne sont pas sans rapports avec la morphologie de Vortex Temporum.
Vortex Temporum est une commande conjointe du Ministère de la Culture, de Musica, du Ministerium für Kunst Baden-Würtenberg et de la Westdeutsche Rundfunk Köln, à la demande spécifique de l'Ensemble Recherche. En outre, je tiens à remercier la Fondation Henry Clews et la Fondation des Treilles qui m'ont accueilli dans un lieu propice à la composition de cette pièce.
Gérard Grisey, programme du Festival Musica 96.
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