Une première petite chronique.
Depuis longtemps l'idée — la nécessité plutôt — d'en finir avec les belles architectures victorieuses, les solides métaphores, le confort du déjà connu, pour imaginer les conditions d'une musique sinon inimaginable, du moins, moins "calibrée".
Ce morceau représente la première pièce d'un cycle que je me refuse donc à planifier comme tel, tant le sujet est par ailleurs rétif aux outils de la raison.
Les larmes — en allemand : Tränen (NdE) nous concernent tous sans exception. Elles matérialisent l'expression de nombre de nos sentiments. Nous les produisons nous-mêmes, avec nos propres corps et elles nous déterminent dans notre fragilité, ou plus exactement dans ce que nous acceptons d'en montrer.
Il s'agira donc plutôt d'une chronique en forme de dérive, sans plan et sans fondations, mêlant distanciation poétique, observation presque physiologique, dialogues et même autobiographie.
On me dira qu'il est étrange pour un compositeur mâle (ou supposé tel) de se pencher ainsi sur un sujet si traditionnellement féminin. On m'a appris tout petit qu'un homme ne pleure pas — une faille de plus dans mon éducation : je pleure très facilement et pour toutes sortes de raisons.
Difficulté de rester dans le sujet, et de ne pas glisser vers ses conséquences : ne pas parler de pleureuses, donc, mais songer à des "larmes professionnelles" — et surtout ne pas s'appesantir sur les larmes de tristesse : je leur préfère celles produites par le rire, ou celles, fluides entre toutes, émanant de la joie de retrouver enfin un être cher.
Le chant — en allemand : Gesang (NdE) promis par le dernier élément du titre est un chant "en négatif". Il m'est personnellement très difficile, très périlleux de parler en pleurant. Les larmes sont plus fortes que le discours et imposent leur propre rythme à la voix. Le parler devient alors, à travers les larmes, un chant étrange, involontaire : le timbre de la voix se modifie, son souffle se dévoile sous un jour inhabituellement sensuel, la scansion du verbe est comme conditionnée par le mètre des larmes, faisant intervenir de courts silences, le discours lui-même se prête plus volontiers à des redites, comme des refrains compulsifs.
Il s'agirait donc d'une musique purement mélodique, dont la ligne n'existerait en tant que telle qu'à travers une collection de brisures, de trous d'air, de vexations — une musique dépourvue de masque.
Brice Pauset