Mes premières « compositions » étaient des pièces pour orgue et, à douze ans, mon rêve était de devenir organiste titulaire à l'église Saint-Sulpice de Paris. Ma pièce pour orgue ferner, und immer ferner est donc, en quelque sorte, l’expression de mon amour pour cet instrument, que je n’ai jamais appris à jouer comme je l’aurais souhaité.
La pièce se déploie entre deux pôles : d’un côté le Kyrie de la Messe de L’homme armé sexti toni de Josquin Desprez et, de l’autre, l’extrait d’un texte de Georges Bataille : Madame Edwarda, qui avance la question de Dieu qui se serait détourné du monde : Jenseits und über alles hinaus... ferner, und immer ferner... ER SELBST, in Ekstase über einer Leere... Und jetzt? ICH ZITTERE (au-delà, et de tout... plus loin, et toujours plus loin... LUI-MÊME, en extase u-dessus d'un vide... et maintenant ? JE TREMBLE).
ferner, und immer ferner détient la statique de sa disposition formelle de la musique de Desprez : ma musique modifie les atmosphères, les proportions, l’apparence de sons isolés. Elle joue avec les extraits de la musique de Josquin en laissant évoluer de plus en plus librement ses débauches, à la limite de l’improvisation – l’orgue étant justement l’instrument de l’improvisation par excellence. À partir de là, j’ai tissé les trames de mon développement, et laissé ma musique les dépasser – vers une direction toujours plus éloignée du point de départ. Cependant, tout au long de la période de composition, la question de Bataille, qui a toujours influencé le sens de la pièce, me restait en tête : …Et maintenant ? Je TREMBLE.
Ma pièce pour orgue ne cherche pas à être de la musique liturgique, mais elle respecte cette connotation de l’instrument. J’ai constaté que lorsque l’on accepte l’instrument et ses singularités, de nombreuses possibilités se présentent, offrant à l’imagination des surfaces de frottement lui permettant de s’enflammer.
Si je devais nommer des modèles, je citerais les romantiques français, avec leurs symphonies pour orgue, mais aussi Charles Tournemire et ses pièces pour orgue fondées sur le mysticisme de la liturgie catholique. Une inspiration particulière provenait également des nombreux concerts et vêpres du dimanche – passés assis derrière Jean Guillou au grand orgue de Saint-Eustache – ainsi que les diverses nuits où j’ai veillé, jouant de ce magnifique
instrument, expérimentant et assemblant mes idées.
Je conçois donc cette pièce pour orgue comme une musique qui a conscience de la tradition de l’instrument et qui essaye en même temps de la traduire en mon propre langage musical, inscrivant mes significations en elle.
ferner, und immer ferner est dédiée à Eckhard Manz qui, grâce à son initiative et à son engagement, en a permis l’existence et qui l’a créée à Kassel dans sa première version. Je remercie également sincèrement Jean Guillou pour ses nombreuses et précieuses influences durant la composition.
Le fait que la pièce soit créée par le brillant Francesco Filidei, ici, à Saint-Eustache, est idéal : car c’est pour cet orgue que je l’ai rêvée.