Créé par le peintre américain Mark Rothko, Rothko Chapel est un environnement spirituel, un espace pour la contemplation où hommes et femmes, croyants ou non, peuvent méditer en silence, dans la solitude ou dans la célébration commune. Pour cette chapelle, construite en 1971 par la Ménil Foundation à Houston, Texas, Rothko a peint quatorze grandes toiles.
Alors que j'étais à Houston pour l'inauguration de la Rothko Chapel, mes amis John et Dominique de Ménil me demandèrent d'écrire une œuvre en hommage à Rothko qui serait interprétée dans la chapelle l'année suivante. Le choix des instruments (en termes de forces utilisées, d'équilibre et de timbre) fut dans une large mesure déterminé par l'espace de la chapelle et par les peintures. Les images de Rothko vont jusqu'au bout de la toile et je voulais le même effet avec la musique qu'elle emplisse toute la pièce octogonale et qu'elle ne puisse pas être entendue à une certaine distance. Le résultat est tout à fait semblable à un enregistrement, le son est très proche, il est physiquement plus présent que dans une salle de concert.
Le rythme d'ensemble des peintures telles que Rothko les a disposées créait une continuité ininterrompue. Lorsqu'il était possible, avec les peintures, de répéter couleurs et gammes tout en maintenant un intérét dramatique, je sentais que la musique appelait une série de sections enchainées hautement contrastées. Je voyais une procession immobile semblable aux frises des temples grecs.
Ces sections peuvent ainsi être caractérisées :
- une assez longue ouverture déclamatoire ;
- une section « abstraite » plus immobile pour chœur et cloches ;
- un interlude motivique pour soprano, alto et timbales ;
- une fin lyrique pour alto avec accompagnement de vibraphone, ensuite rejoint par le chœur dans un effet de collage.
Quelques références personnelles traversent Rothko Chapel. La mélodie de la soprano, par exemple, fut écrite le jour du service funèbre de Stravinsky à New York. La mélodie quasi hébraïque jouée par l'alto à la fin de l'œuvre fut écrite quand j'avais quinze ans. Certains intervalles dans l'œuvre sonnent comme à la synagogue. Il y avait d'autres références que j'ai maintenant oubliées.
Morton Feldman, programme du festival d'Automne à Paris 1997, cycle Feldman.