Si la musique est « vibration même du monde », si Mana (1935), pour piano, est « manifestation sonore en relation directe avec le système cosmique universel », si le langage de Jolivet se construit autour d'une « atonalité naturelle », et si la forme est toujours au service du « chant de l'homme », l'inspiration naît ici d'une « rude âpreté qui n'exclu pas la tendresse », pour citer Arthur Honegger, d'une synthèse du clair et de l'obscur, de l'incantation domestiquée et du lyrisme académique, d'une tradition modale et d'une convention humaniste.
Après l'originalité des timbres combinés de la Sonatine pour flûte et clarinette (1961), et avant le sombre et le pathétique des dernières œuvres pour instrument seul, la Sonatine pour hautbois et basson mène au simple dépouillement, à la subjectivité d'un poète et musicien qui « fait table rase des coquetteries ad usum delphini », pour citer encore Arthur Honegger. Divisée en trois mouvement, la Sonatine présente successivement une Ouverture, un Récitatif et un Ostinato.
Après une introduction au cours de laquelle les deux instruments dialoguent à l'octave, l'ouverture développe une brève ligne du hautbois qui conduit à une polyphonie de notes polaires explicites. Une respiration, puis le hautbois et le basson transposent et varient l'incise initiale, tout en préservant son fugitif balancement. Le trille du basson aboutit à une réexposition de la polyphonie naissante et de ses rythmes caractéristiques. Enfin, seul le hautbois présente la ligne introductive dans sa « tonalité » originale, avant une ultime variation des éléments polyphoniques sans cesse dénaturés et évasés par la précipitation de l'unité rythmique.
Hautbois et basson alternent dans le récitatif des lignes mélodiques librement composées, aux rythmes quasi improvisés, et notes polaires, obsédantes jusque dans leur ornementation. Jolivet retrouve ici l'inspiration incantatoire, à laquelle n'est pas étrangère l'intervalle conclusif de septième, des partitions précédant sa mobilisation.
Enfin, le néoclassicisme scolastique de l'ostinato reprend les techniques d'écriture définies par Jolivet dès ses premières œuvres : « …pour pivot des notes, des accords, des groupes sonores, des rythmes clefs autour desquels la masse mouvante de la musique s'organise et s'épanouit ; des formes renouvelées où le développement prend une place prépondérante, développement élargi, par opposition, commandant aussi bien la mélodie que l'harmonie, que les groupes rythmiques ou que même les masses sonores, écriture instrumentale elle aussi renouveler… »
Laurent Feneyrou.