Au départ de ce projet il y a une île…
…dans la baie de Venise, une île inaccessible : San Clemente.
On ne peut pas vraiment aller aujourd’hui à San Clemente, d’ailleurs on ne pouvait pas y aller avant non plus !
En 1873 y a été fondé, sur les bases architecturales d’un ancien monastère, un hospice d’aliénés.
D’abord exclusivement dédié aux femmes puis devenu mixte, San Clemente devient l’un des plus grands hôpitaux psychiatriques de l’Italie, où toutes sortes de traitements – jusqu’aux plus douteux, sont pratiqués. À la fin des années 60, cet hôpital sera pointé dans la « crise psychiatrique » qui bouleverse le pays débouchant sur une contestation plus générale portée entre autre par Franco Basaglia. La crise conduira à la fermeture progressive de ces établissements, San Clemente fermera en 1992. Dans la dernière période de son activité, l’hôpital devient un lieu où les patients sont livrés à eux-mêmes, en sorte de semi-liberté, en déshérence.
Raymond Depardon y tournera en 1980, l’un de ses plus importants documentaires, intitulé San Clemente. Ne possédant aucun caractère narratif, ce film est une immersion sur cette île. Il révèle au monde une communauté abandonnée, vivant dans des conditions misérables, à deux pas des grands ébats touristiques de la place Saint-Marc.
Aujourd’hui, cette île est entièrement occupée par un hôtel de luxe. Les tarifs de cet hôtel en font, là encore, un lieu inaccessible, réservé à une élite. San Clemente continue de rester à l’écart : un lieu où le passé est malléable. Dans l’historique du bâtiment que l’on peut trouver sur les brochures ou site internet de l’hôtel, rien n’est mentionné à propos des 100 années de psychiatrie. Ici, on efface la mémoire des pierres et des couloirs, comme on effaçait celle des hommes…
Le développement de se projet s’appuie sur ce socle géographique et historique en tissant également un rapport avec la poésie d’Alda Merini, personnalité fulgurante de la littérature italienne. Merini, souvent comparée à Antonin Artaud compose une poésie où la vie, une forme de mysticisme et les bouleversements d’une grande fragilité mentale se nouent au gré de textes en prose ou de formes poétiques modernes.
Tour à tour parlés ou chantés ces textes élaborent un contre-champ à l’action cinématographique et scénique qui se déploie au plateau. L’écriture musicale part toujours des mots, de cette langue-songe qui évoque toujours une lumière. À l’arrière plan, Le film réalisé pour ce projet et qui lui sert de décors, intègre la présence d’une danseuse. Ici l’écriture chorégraphique s’appuie directement sur l’œuvre de Raymond Depardon. Il y a dans ce film comme une matrice ou un vocabulaire qui constitue la base des mouvements pour la danseuse. Filmée dans les rues de Venise, puis dans les couloirs et chambres de l’hôtel actuel de San Clemente, la danse véhicule les bribes de mémoires dont nous avons besoin pour comprendre le paradoxe incroyable de cet espace.
Finalement, un autre documentaire nait ici, celui qui raconte l’amnésie volontaire de l’industrie du luxe ! Mais, ce que les murs de l’établissement ont vu ne peut pas être totalement dissous… Car c’est bien ici que, pendant un siècle, ont été mis à l’écart du monde des êtres fragilisés mais dignes. Et leur mémoire, elle aussi, à ce droit de dignité que ce spectacle veut simplement leur rendre.