Contemporain d'un Requiem (1945-1946), pour soliste, chœur et orchestre, couronne de fleurs coulant sur l'eau, selon le compositeur, inspiré par la tragédie d'Ophélie disparue, et dans lequel Maderna déployait la virtuosité de son écriture, le Quatuor à cordes consacre le renouveau frénétique de l'immédiate après-guerre. Période d'intense réflexion philosophique et théorique, à travers la lecture des traités du Moyen-Age et de la Renaissance – Hucbald de Saint-Amand, Guido d'Arezzo, dans l'édition de Coussemaker, et Zarlino –, mais aussi des essais de Paul Hindemith ou du Dialogue sur les deux grands systèmes du monde de Galilée, le style de Maderna y acquiert sa pleine maîtrise du contrepoint et du canon, dans l'étude d'une technique qui parcourt l'histoire, dans les relations entre le moment historique et la combinatoire d'un élément musical.
Un contrepoint libéré de l'académisme du « note contre note ». Un canon qui emprunte à la Renaissance et aux Franco-Flamands sa dimension énigmatique pour redéfinir sa modernité. Un canon non à la Frescobaldi, mais qui incline la rectitude d'un temps linéaire, de lignes qui n'aboutissent pas parce que déviées. Le temps n'est plus déroulé, mais devient l'espace de multiples renvois, croisés ou superposés, passés ou à venir. Dépasser les virtualités implicites du matériau et du canon pour organiser le contrepoint de quelques éléments qui se composent de manière canonique. Loin d'un cyclique dérivé de Beethoven, la cellule initiale de trois notes ascendantes conjointes, qui devient vite cellule de quatre notes, se retrouve ainsi dans les trois mouvements – Allegro, Lento a fantasia et Allegro –, et culmine dans la dernière section du dernier mouvement, dans l'unisson originel, l'univoque, négation même du contrepoint scolastique.
Mais justement, l'unisson, le parallélisme entre les voix – du violon 1/violoncelle et du violon 2/alto de l'introduction au violon 1/alto et violon 2/violoncelle du mouvement lent, et à la quadriphonie conclusive –, la clarté des rythmes mis en jeu et leurs différences de phase qui donnent parfois naissance à la polyphonie, le lyrisme du chant mélodique, du « canto bello » d'Orphée, brisent la corporéité de l'instrument, et signifient la nostalgie d'un chant lointain. Apollon et Dionysos. Paian et Lyseus. Privé de l'usage non de la parole mais du vocal, le quatuor ne peut être que contrepoint de voix instrumentales qui créent, qui « re-créent » la vibration, le sacrifice, les résonances du son, du chant orphique et qui « dé-créent », dans sa résistance même à l'aria, et dans le retrait, le retirement de sa représentation.
Laurent Feneyrou.