Ce projet est conçu d’après un texte d’Henri Michaux qui aborde la question de l’intime et du rapport au monde. Déjà mis en musique dans la cadre d’un atelier de création radiophonique dans les années 70, ce texte constitue une navigation dans l’âme humaine et malgré une apparente fragmentation, se déploie comme une très profonde réflexion sur le sens de la vie. La poésie de Michaux, à la lisière de l’ésotérisme, sonde notre rapport au monde dans une forme d’étrangeté qui prend le contrepied d’un état fonctionnel de l’art.
La dimension de rituel moderne de cette langue constitue le socle de ce projet à la frontière entre théâtre et musique. Le travail se concentre notamment autour de l’articulation entre les espaces (physique et sonore) dans un rapport dialectique autour de l’intimité. Le champ perceptif est ici travaillé dans un constant va-et-vient entre deux espace distincts qui évoquent peut-être les notions d’intérieur et d’extérieur. La scénographie divise en effet le plateau en deux zones, l’une centrale où évolue la chanteuse, et l’autre une sorte de couloir périphérique (délimité par des paravents) consacré au percussionniste. Chaque espace constitue le négatif de l’autre permettant ici de développer une dramaturgie singulière et d’accentuer la question du rapport entre deux êtres.
On passe ainsi d’une zone à une autre et notre rapport aux interprètes se construit autour de cette dynamique, révélant autant le monde intérieur (et infini selon Michaux) que le monde extérieur, celui de la solitude (espace vide). Les deux protagonistes, séparés par cette frontière que constituent les paravents, s’écoutent, s’observent, se cherchent peut-être ?
Dans le texte de Michaux, nous pouvons finalement nous demander à qui s’adresse cette voix : au lecteur bien sûr mais le texte tient tellement parfois de la confession qu’il suggère une autre présence, un être qui écouterait cette dérive poétique. La dramaturgie du projet s’appuie donc également sur cette question d’une possible relation. Les paravents, qui marquent véritablement une frontière, restent fermés ; simplement, vers la fin de l’œuvre, cette limite sera franchie. Il est question ici de matérialiser notre rapport à l’écriture de Michaux qui ne peut se concevoir que si l’on accepte de renoncer à ce qui est connu, balisé pour entrer de plein pied dans ces zones étranges et immatérielles où comprendre n’est plus nécessaire... ici il faut sentir.
La voix parlée constitue le socle de la construction du projet. Le chant, s’il émerge ici, se situe au second plan, comme une rêverie, une déclinaison possible mais fugitive du texte. C’est ici que la notion d’écho prend sa source. Et grâce à la démultiplication de la voix, rendue possible par le recours à l’électronique, le chant se superpose aussi à la parole, en produit une dérive, un peu comme le cheminement de ce texte dans notre esprit.