Ces cinq plans, ou tableaux, ont été réalisés à partir de matériaux extraits de ma pièce de théatre musical
Zangezi, créée à Madrid en juin 2007, et de mon opéra de chambre
Hypermusic Prologue, créé par l'Ensemble intercontemporain et l'Ircam en juin 2009 au Centre Pompidou à Paris. Cette œuvre électroacoustique en cinq « Plans » ou scènes, est inspirée de Zangezi, ultime chef-d'œuvre dramaturgico-poétique du poète futuriste russe Velimir Khlebnikov.
Les différents gestes sonores, énergies et structures musicales, qui la composent nous parlent à la manière de ce langage « inconnu » que représentent les constructions verbales de zaoum : imaginé par les futuristes russes, le zaoum est un genre poétique très spécifique, qui repose avant tout sur l’organisation des sons pour eux-mêmes. Le poème zaoum est phonétique : il exprime les émotions et les sensations primordiales au moyen du son – le son précédant le sens et transcendant donc la communication humaine. De la même manière, le matériau sonore brut qui sert à la composition comprend des centaines d’enregistrements de chants d’oiseaux, d’attaques gutturales, de voix de soprano et de baryton, de sons percussifs d’usines, de marteau, d’enclume, et autres frictions métalliques.
Ces bruits sont alors réduits en grains sonores et fortement mais progressivement déformés par transposition spectrale et temporelle, compression et décompression, puis resynthétisés (au moyen de la synthèse granulaire, des filtres résonnants, de la FFT…) et, enfin, réverbérés et spatialisés. Les jeux de compressions, d’élongations et même d’arrêt du flux temporel constituent, comme dans le langage inventé par Khlebnikov, l’essence architecturale de l’œuvre. Arrivée aux « points d’abysse » – singularités de la polyphonie vers lesquels confluent les différents flux temporels et événements sonores –, la tension se libère, révélant la solitude tragique du genre humain. La fragilité éphémère du sublime et la permanence insidieuse du banal cohabitent dans notre existence. Le prisme diffractant de nos perceptions sert de point de convergence aux divers événements sonores, tour à tour abrupts et évanescents, fragiles et robustes, lumineux et sombres, violents et mélancoliques, pour donner lieu à une expérience troublante, nous amenant à vivre chaque instant intensément.
Zanguezi : Moi, ainsi qu’un papillon égaré
Dans l’habitacle de la vie humaine,
De ma poussière il me faut laisser le tracé,
Signature du prisonnier sur les fenêtres dures,
Sur les dures vitres du sort.
Elles sont si ennuyeuses, si grises
Les tapisseries que tisse la vie humaine !
Des fenêtres, c’est le « non » translucide !
Déjà s’est effacée ma lueur bleue et, des points, les dessins,
La tempête cérulée de mon aile, sa fraîcheur première.
La poussière s’est envolée, les ailes se sont fanées, devenues rêches et transparentes.
Lassé, je me cogne à la fenêtre de l’homme.
Les nombres éternels, je les entends résonner là-bas.
M’appelant à retourner vers ma patrie, ils invitent le nombre à revenir vers les nombres.
[…]
Zanguezi et autres poèmes, Plan VI. Traduction du russe par Jean-Claude Lanne. Flammarion, 1996.
This electroacoustic piece is composed by four scenes (or planes) inspired on
Zangezi, the last poetic-theatrical work by the Russian futurist poet Velimir Khlebnikov:
1. The language of the birds, 2. String Theory (Zangezi’s dream), 3. “I have come like a butterfly into the hall of human life”, 4. Zangezi’s nightmare.
The different sound gestures, energies and musical architecture could talk to us like the “invented” language that constitutes the verbal constructions of “Zaoum”. In this way, hundreds of different recordings of bird songs, glottal attacks, female and male voices, percussive sounds from factories, urban world, metallurgical industry (swords, anvil), and a great variety of metallic frictions, compose the departure sound materials. These sounds has been granulated and progressively shaped and strongly deformed (spectral and temporal transposition, spectral compression-decompression, convolution and cross-synthesis...) They has been partially or totally resynthesised and subsequently spatialized in 6 tracks.
The playful compressions, decompressions and even stops of the time flow, like in the case of the invented language by Khlebnikov, constitute the architectural essence of the piece. In the “abyss points” -polyphonic confluence of different sound forms and time flows, the tension is liberated, making vividly evident the tragical sense of the loneliness of the human search of the existence. The ephemeral fragility of the sublime coexist with the insidious permanence of the banal... Through the refractive prism of our perception, different sonic events, sometimes sudden and abrupt, sometimes quietly evanescent, may converge to produce a most vivid experience. In few seconds, polyphonically interwoven different emotional states, with different energies, will meet and coexist. Hence, we are auditory compelled to live each instant at high intensity and hyperconcentration. This process should eventually produce and place us in this vibrant and magical “dimensional extension” of spacetime in which our thought and musical expressivity feel free to move and create.
Zangezi: I have come like a butterfly
into the hall of a human life,
and must spatter my dusty coat
as a signature across its bleak windows,
as a prisoner scratches his name
on fate’s unyielding windowpane.
Human life is papered thick
with greyness and boredom!
The transparent no of its windows!
Already I have worn away
my bright blue glow, my pointillated patterns,
my wing’s blue windstorm. The bright motes
of my first freshness are gone, my wings waver,
colourless and stiff. I droop despairing
at the window of the human world.
Numbers, eternal numbers, sound in the beyond;
I hear their distant conversation. Number
calls to number; number calls me home.
Second Passerby: He wants to be a butterfly, he thinks he's so smart, that's what he wants to be.
Third Passerby: A pretty poor prophet, if you ask me. A butterfly? He looks more like an old lady!
Vélimir Khlebvnikov (Zangezi, Plane 6)
Hèctor Parra.