Certains jardins traditionnels au Japon sont conçus pour établir une relation entre l’intérieur du temple et le paysage en arrière-fond ; ils relient intimement le lieu de méditation, de concentration sur la pensée, et l’extérieur, invitant à une plus grande attention au monde environnant.
À l’Ircam, l’activité de recherche et de création se trouve en sous-sol, invisible de l’extérieur. Là, le compositeur est au centre de l’activité alors qu’en surface, dans la vie quotidienne, il est marginalisé. La musique d’art, contemporaine, que l’on écoute en concert dans le sous-sol de l’Ircam est pratiquement inconnue du public qui traverse la place Stravinsky en surface. La dalle de la place marque une frontière imperméable entre les deux lieux. L’idée de Germination est de traverser cette surface afin de faire apparaître au grand jour la musique du sous-sol.
La pièce prend pour modèle la croissance des plantes. La plupart de mes œuvres ont la même forme : une trajectoire qui va d’un point à un autre, d’un état à un autre du matériau musical. Comme chez les êtres vivants, où le programme de développement qui va de la naissance à la mort est inscrit dans le code génétique mais prend des formes particulières pour chaque organisme, cette forme-trajectoire prend un aspect différent dans chacune de mes œuvres.
Les matériaux musicaux de Germination empruntent eux-mêmes au monde végétal. L’idée rythmique de la pièce, à petite et grande échelle, a pour modèle la vitesse de la croissance des racines. L’harmonie est construite à partir de processus génératifs tels que la modulation d’amplitude qui permet, par l’interaction d’un matériau élémentaire agissant sur lui-même, de l’enrichir de plus en plus. Les lignes mélodiques bifurquent et se ramifient. La musique, comme les plantes qui se dirigent vers le haut, vers la lumière du jour, prend peu à peu l’aspect de lignes ascendantes qui traversent le plafond de la salle de concert et se retrouvent à l’extérieur, à l’air libre.
La croissance d’une plante dépend aussi du contexte et de l’orientation qu’on lui donne. Dans Germination, j’interviens sur ce temps directionnel, comme le ferait le jardinier sur les plantes : accélération, ralentissement, gel du processus, orientation de la transformation dans un sens ou un autre, coupure, reprise…
L’œuvre est en deux parties. La première partie, pour ensemble et électronique en temps réel, est jouée dans la salle en sous-sol et la seconde, électroacoustique, est diffusée sur la place Stravinsky : le public sort pour l’écouter. La pièce instrumentale jouée en sous-sol constitue la base du matériau musical développé ensuite par la « plante électroacoustique » qui pousse en surface. Des éléments végétaux accompagnent la disposition du système de diffusion. Ils évoquent le passage imaginaire du son entre sous-sol et surface, à l’image de la croissance végétale des racines à la plante. Le public s’assoit sur les marches autour de la place, sur le bord de la fontaine, ou déambule librement parmi le dispositif pour apprécier de près les mouvements des sons.
La seconde partie commence par la dernières ection de la première partie qui sort du sol, puis développe les matériaux sonores entendus lors du concert. La croissance de cette « plante sonore » s’étale sur trois soirées (pousse, floraison, fructification-graine). Chaque soir, les spectateurs pourront mesurer la croissance de la plante-sonore issue de la germination.
Au Japon, les pierres, les petites fontaines, les racines des arbres nous parlent. Ils cachent des êtres animés. Ce sont les habitants des lieux de notre environnement immédiat. Même en ville, cette nature magique transparaît en de multiples petits recoins.
Je voudrais remercier ici Laurent Renault, les professeurs et les élèves de l’école du Breuil, qui ont permis la réalisation de la plantation de la place Stravinsky, Samuel Goldszmidt, pour la réalisation du site germination.fr ainsi que Suzanne Berthy pour ses conseils.
Jean-Luc Hervé.