« Festin représente la première tentative deconstituer un véritable orchestre de percussions. C’était un vieux rêve de Michel Cerutti, que le Festival d’Aix-en-Provence et Philippe Manoury ont rendu possible. C’est d’ailleurs Philippe Manoury qui a suggéré mon nom pour la première commande destinée à l’inauguration de cette formation d’un nouveau genre. L’idée était de provoquer une manière différente d’écrire pour les percussions. Le répertoire compte aujourd’hui plus d’une dizaine de pièces — notamment suite à des commandes passées dans le cadre de l’académie du Festival de Lucerne. Michel Cerutti et moi nous sommes donc d’abord attelés à “penser” ce nouvel orchestre, avec une nomenclature fixe. La première chose à faire, c’était de mettre de l’ordre dans l’immense capharnaüm que sont les percussions. On les a donc regroupées et pensées sous forme de familles — sur le modèle orchestral. D’emblée, Michel Cerutti a voulu écarter tous les accessoires — je n’étais pas complètement d’accord à l’époque, mais il s’agissait d’organiser l’ensemble chromatiquement, et de tout noter chromatiquement sur la partition. Pour chaque qualité — bois, peau, métal —, la tessiture entière est disponible à tout moment, du plus grave au plus aigu.
C’est de là que vient le titre de la pièce : quand je suis entré dans la salle de concert pour la première fois, j’ai vu tous ces instruments sur la scène. Avec toutes ces couleurs, toutes ces formes, c’était comme l’immense table d’un festin majestueux, une orgie, une démesure. Deux octaves de gong sur pied à côté de deux octaves de cloches plates, c’est impressionnant ! Le compositeur peut donc orchestrer les plans sonores. Cela implique un travail complexe et approfondi des percussionnistes, qui n’ont pas l’habitude de travailler ainsi : ils doivent changer leur manière de jouer. À l’instar des instrumentistes de pupitre dans l’orchestre, il faut qu’ils comprennent leurs rôles au sein d’un tout qu’ils ne peuvent percevoir de manière globale.
Festin donne le sentiment d’une fusion presque “philharmonique” des sons des percussions. C’est comme une grande symphonie, qui explore divers états de l’orchestre au sein d’une structure dont le moteur premier est la polyrythmie. Tous les mouvements ont en effet une structuration sous-jacente polyrythmique, dont on entend parfois clairement l’articulation, et qui sert sinon de simple trame sur laquelle les figures musicales viennent se greffer. Le rapport des rythmes à une pulsation, ou à une perception potentielle d’un tempo éventuellement fantôme est, selon moi, primordial — bien plus que les durées, dans le sens d’une musique de durée. Là résident l’articulation et le mouvement. Les rythmes sont des micro-organismes, qu’on ne comprend que si on en saisit la forme. Certaines musiques prennent le contrôle du temps, d’autres le subissent. Je n’aime ni celles qui n’ont un rapport que lointain à la pulsation, ni celles qui changent constamment, fuyant à tout prix la répétition. »
Yan Maresz, propos recueillis par Jérémie Szpirglas.