On le voit clairement aujourd'hui, ces sept mouvements brefs composés sur des poèmes de Dezsö Tandori marquent un tournant dans l'œuvre de Kurtág, dont l'importance est comparable à celle des Fragments d'Attila József op. 20. On y sent la proximité des premières séries des Játékok, celle, aussi, des Pilinszky-Lieder op. 11 : dans la réduction des moyens mis en œuvre, dans le resserrement du matériau, limité aux relations les plus simples, dans l'attachement à l'intonation parlée (transposée dans un système autre, musical). L'effectif, enfin, est d'une économie presque ascétique, et il faudra attendre les Kafka-Fragmente op. 24 pour que se révèlent pleinement les possibilités qui s'y cachent.
La signification de la forme brève, dans l'opus 12, est tout autre que dans les premières œuvres de Kurtág. Alors que l'exposition aphoristique des relations sonores donnait lieu à des formes construites selon le principe de la mosaïque, le mode de développement est ici plus arqué, plus vaste, son caractère est quasi épique (et cela, presque à l'encontre de la briéveté des textes). On voit surgir nombre de formes traditionnelles (valse, blues, tango, récitation grégorienne du sixième mouvement), mais l'indépendance des deux voix rompt résolument avec le principe de la mélodie et de l'accompagnement : il s'agit plutôt d'anticipations et de commentaires, où les solutions techniques les plus simples – tel l'ostinato – trouvent naturellement leur place, ainsi que les moyens formels plus complexes, telle cette structure proche de la passacaille dans le sixième mouvement.
Peter Szendy, d'après György Kurtág.