Les Pilinszky-Lieder ont été très importants dans mon développement. Les quatre poèmes signifient pour moi quatre stations de la douleur (des Leidens), ou plus exactement de la souffrance (des Erleidens).
Dans le premier poème, l'ivresse de l'alcool est postulée, aucun mot ne la mentionne. Dans mon interprétation, le sujet du poème cherche – sur une seule note, et depuis la bestialité de l'inarticulé – ses premières syllabes balbutiantes, ainsi que les premières images d'une réalité aride. L'apparition longtemps attendue d'une seconde, voire d'une troisième note, a été pour moi, dans la composition, une expérience bouleversante.
Dans le second poème, ce sont des expressions tout à fait anodines qui représentent cette scène historique d'exécution que Dostoïevsky a vécue avant son exil en Sibérie. Juste avant l'exécution, les condamnés ont été graciés. Comme vous le savez, cette scène, nous la devons en partie à l'épilepsie de Dostoïevsky, ainsi qu'à sa grandeur poétique.
Le portrait de Hölderlin dans le troisième poème – douleur de la vie, douleur de la folie – répond à la représentation du vieux Hölderlin par lui-même qui, si elle n'est pas paraphrasée, reste cependant clairement reconnaissable dans le texte original en hongrois ; chez Hölderlin :
Das Angenehme dieser Welt hab ich genossen
Der Jugend Freuden sind wie lang ! wie lang verflossen
April und Mai und Julius sind ferne
Ich bin nichts mehr, ich lebe nicht mehr gerne.
J'ai de ce monde goûté l'agrément,
Jeunesse a fui, lointaines, ô si lointaines heures,
Avril et mai, juillet aussi sont partis,
Je ne suis plus, je n'aime plus à vivre !
(Traduction française de Robert Rovini, dans Hölderlin, Œuvres, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, 1967, p. 1022).
Ici, pour la première fois, Pilinszky utilise aussi des expressions « rudes » ; c'est pourquoi je devais également élargir le caractère récité ou quasi parlé de la voix dans les deux chants précédents jusqu'à une mélismatique démesurée.
Les « coups » dans le quatrième chant sont de nouveau construits uniquement autour de trois notes. Même dans les silences, dans les pauses générales – avant que cela ne devienne « insupportable », que le sujet du poème n'entende et ne ressente plus rien –, les coups continuent de pleuvoir. Jusqu'à ce que la voix, après tant de saccades, se décante (sich aussingt) finalement en une transfiguration épileptique : dans un quasi-arioso, elle répète les derniers mots (« que toi et moi »), qui se répercutent en écho dans les différents instruments et débouchent sur une sorte d'amère réconciliation.
György Kurtág, introduction à l'Opus 1, prononcée le 16 novembre 1988 au Konzerthaus de Vienne, dans le cadre du festival Wien Modern.