... une part non négligeable de la réalisation de cette pièce a été confiée à l'ordinateur lors de son écriture. En effet le matériau harmonique est issu de sons instrumentaux complexes – les sons multiphoniques – sortes d'accords productibles par des instruments monodiques. Les composantes de ces sons complexes sont difficiles à détailler à l'oreille car leurs hauteurs ne réfèrent pas au tempéramment usuel et leur ensemble est le plus souvent perçu comme un compromis entre un accord constitué de sons définis et un timbre global. Par contre, l'analyse spectrale de ces sons fournie par l'ordinateur, les révèle jusqu'aux détails les plus fins à la façon d'un microscope et donne au compositeur les possibilités d'une action plus précise sur le son mais aussi sur les structures et les relations qui permettent leur mise en musique.
L'organisation du champ des durées est aussi confié à l'ordinateur. À partir de principes élémentaires, par exemple la juxtaposition de pulsation régulière allant à des vitesses différentes, celui-ci élabore des séquences de durées polyrythmiques que le compositeur, par affinements successifs, peut rendre très complexes.
Comme c'est le cas dans Color et ma précédente pièce Nonsun, le travail compositionnel s'effectue sur un matériau pré-organisé, au plan des hauteurs comme à celui des durées. L'utilisation de l'ordinateur n'a donc pas pour seule conséquence d'écourter les tâches fastidieuses, elle contribue à l'esthétique même de la musique.
Citons par exemple, l'emploi de micro-intervalles (ici des quarts de tons) ; d'un matériau harmonique non homogène, le plus souvent diatonique, variant de façon discontinue du simple au complexe ; d'une tessiture instrumentale tendue vers le grave et surtout l'aigu, concrétisée par, entre autre, l'utilisation de deux flûtes piccolo ; d'isomorphies rythmiques dont la mise en œuvre complexe serait difficile sans l'aide de la machine...
Color, dont le titre vient de la musique médiévale (au XIIe siècle, le color désigne un procédé de répétition, au XIVe et XVe siècle une technique de variation rythmique), est constitué de onze séquences réparties en trois sections successives de complexité rythmique et harmonique croissante. Le matériau est constitué de douze multiphoniques de clarinette, cinq de basson et trois de contrebasse dont l'usage très récent est du aux contrebassistes Jean Pierre Robert et Frédéric Stochl.
Ces sons multiphoniques peuvent être présentés sous trois formes :
1 - leurs éléments utilisés par l'orchestre comme dans la première séquence où celui-ci expose les sons multiples de contrebasse.
2 - simulés par l'émission simultannée de la voix et de l'instrument, comme dans la seconde séquence, lorsque le trombone et le tuba jouent et chantent les composantes principales de multiphoniques de basson.
3 - tels quels, joués par les instruments qui les produisent, ainsi à la fin de la pièce où des sons complexes de clarinette, de basson et de contrebasse sont présentés à découvert.
Claudy Malherbe.