Après avoir tourné la page du Ballet Mécanique, Antheil revient avec sa Jazz Symphony au second versant de son travail : le développement d'une synthèse du jazz. Il l'avait abordée notamment dans le Ragtime de sa première Symphonie (1922) évoquant Petrouchka de Stravinsky, ou la Jazz Sonata (1922), puis la deuxième Sonate pour violon (1923).
A Jazz Symphony répond à une commande émanant de Paul Whiteman, la création devant avoir lieu peu après celle de la Rapsody in blue (1923) de Gershwin, dans le cadre des grands concerts que Whiteman et son orchestre donnaient au Carnegie Hall. A Jazz Symphony sera finalement créée dans ce même lieu en 1927, dans sa première version pour vingt-deux instruments - une réduction devant être créée à New York en 1960.
Au début des années 20, Antheil ne s'intéresse pas au jazz en tant que phénomène de mode, mais reconnaît à ce langage appartenant au folklore américain depuis un siècle, sa vitalité et sa force d'innovation rythmique, mélodique et harmonique. Cette commande représentait pour le jeune Antheil un véritable challenge «auquel tout compositeur américain devait se confronter, le jazz représentant un point de repère essentiel de l'art moderne». Elle le réjouissait aussi par ce que l'association entre jazz et symphonie, issus d'idiomes a priori antinomiques, pouvait avoir de ludique et d'humoristique.
Composée en un seul mouvement - et en cela échappant à la forme classique - cette symphonie n'en est donc pas une, comme aime à le souligner Antheil. Elle s'élabore autour de trois thèmes principaux, sillonnant toute l'oeuvre et lui donnant son unité. Largement inspirés du jazz et soulignées par une instrumentation faisant la part belle aux cuivres, percussions et claviers, ces trois thèmes sont très nettement différenciés, ancrés sur une base tonale fixe et sur une métrique binaire. Ils peuvent être traités en canon ou superposés les uns aux autres en un clair contrepoint. Le piano, s'il n'est pas utilisé comme base percussive en ostinato, est quasiment concertant, intervenant à plusieurs reprises en soliste. L'oeuvre s'achève sur l'apparition d'un quatrième thème, à trois temps celui-ci, en un étonnant changement d'atmosphère. Quoi qu'évoquant l'esprit festif de la musique de bastringue, A Jazz Symphony n'est cependant pas exempte de cette étrange tristesse mêlée, réelle essence du jazz selon Antheil.
Pour la création, en 1927, tout New York sera là. Quoi de plus excitant en ces années que de voir un compositeur «sérieux» fréquenter la «musique du diable» ! Et les meilleurs amis de Gershwin d'annoncer à l'issue du concert que cette pièce de «superjazz» était «un tour de force de l'Amérique d'aujourd'hui... qui fera de l'ombre» au grand Gershwin lui-même. Antheil en sortira amer, haïssant du même coup, et Amérique et Jazz ; il renouera avec le jazz deux ans plus tard, et s'installera finalement à Hollywood.
Programme du concert de l'Ensemble Intercontemporain du 22 décembre 1996, Cité de la Musique