Parti d’un petit canevas publié en 1972 dans la revue britannique Tempo en hommage à Stravinski (un « originel » central formé de sept sons et six « transitoires » périphériques, chapeautés par l’épigraphe : « Afin d’évoquer Igor Stravinski, de conjurer son absence »), …explosante-fixe… révèle une exploitation en « prolifération » typique de l’art de Pierre Boulez. Du canevas initial, le compositeur a en effet tiré plusieurs réalisations successives, vouées depuis lors à l’oubli. L’actuelle version de l’œuvre exploite l’Originel et les cinquième et septième Transitoires, donnant lieu à trois grands volets instrumentaux reliés entre eux par deux brefs interludes électroniques (Intersticiels 1 et 2). Si l’œil identifie a priori un dispositif en quatre groupes (la flûte solo, les deux flûtes « co-solistes », l’ensemble instrumental et la partie électroacoustique), l’oreille décèle rapidement une autre organisation. C’est que loin d’un quelconque dialogue concertant opposant la voix dusoliste à celle d’un accompagnateur, …explosante-fixe… propose une écriture entièrement centrée sur la partie de flûte, que trois « doubles » s’ingénieraient à réfléchir et déformer sans cesse, chacun à sa manière : les deux autres flûtes en l’ornementant, l’ensemble instrumental en l’amplifiant et en l’enrichissant, et la partie électroacoustique en la démultipliant. Ainsi la flûte soliste se retrouve-t-elle au centre d’une vaste toile sonore formée par la démultiplication de son image, reflétée sous des formes variées, superposées jusqu’à parfois la noyer. Entièrement automatisée grâce à l’utilisation d’un programme de suivi de partition, la partie électroacoustique, réalisée à l’Ircam par Andrew Gerzso, est utilisée ici non seulement pour réaliser certaines transformations du jeu de la flûte solo (touchant notamment la hauteur, le timbre ou le rythme) et offrir ainsi à l’instrument les moyens d’un nouveau dépassement mais aussi pour spatialiser le son sur le réseau des haut-parleurs. Suivant la très ancienne tradition des hommages funèbres, …explosante/fixe… adopte l’idée du canon, repris ici non dans sa forme traditionnelle, mais comme principe de base, ainsi que s’en explique le compositeur : « L’idée était de confier un même noyau à plusieurs instruments qui, se présentant à des registres différents, le parcourraient chacun de façon différente. Le noyau explosait dans ces différents parcours, mais chaque tessiture était absolument fixe. J’ai donc baptisé la pièce, très littéralement, …explosante-fixe…. Il s’agissait de reprendre cette vieille tradition de l’hommage par des canons, à la mémoire de Stravinski ; mais le canon, en tant que tel, ne m’intéressait absolument pas. J’ai réfléchi à cette forme d’écriture, pour la repenser d’une façon qui n’ait rien d’académique : si l’on se rend dans des couches différentes, si chacun suit des parcours différents à travers des niveaux alternants, on retrouve cette notion de canon, mais dégagée de ses fonctions imitatives traditionnelles. » (Pierre Boulez, Le texte et son pré-texte, entretien avec Peter Szendy, Genesis n° 4, 1993).
Alain Galliari.